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de lui, pour toutes les misères et faiblesses de l’humanité souffrante, par toutes les séductions de son éloquence naturelle et imagée, de son tempérament de poète et d’artiste, il surexcite, sans y penser, d’innombrables inquiétudes et ambitions, morales, intellectuelles, littéraires, artistiques déjà réveillées, dans toutes les républiques italiennes, en même temps que l’activité politique, par la défaite de Barberousse et la paix de Constance.

Poète et artiste, François le fut, de cœur, d’esprit, de fait. Il est même, presque toujours, l’un et l’autre à la fois. Pour lui, la poésie est inséparable de la musique, inséparable aussi de l’image plastique et pittoresque. L’érudition moderne lui peut contester quelques-uns de ces célèbres chants d’amour en l’honneur du Christ, d’une passion si tendre et si chaude qu’il n’y a presque rien d’égal dans le Cantique des cantiques ou les chansons provençales et siciliennes, In foco amor mi mise… Amor, de caritate, etc. Mais que ces vers ardens doivent ou non être restitués à son successeur et imitateur, le plus hardi et le plus original, Fra Jacopone da Todi, c’est bien son inspiration qui s’y continue et s’y développe. N’eussions-nous, d’ailleurs, que le Cantique du Soleil, dont la paternité ne saurait lui être contestée, nous devons voir en lui le premier grand poète de l’Italie en langue vulgaire, comme il fut en langue vulgaire son premier grand orateur.

Avant même que, sous cette inspiration, n’éclatât la floraison délicieuse et familière de tous ces cantiques, laudes, dialogues, mystères, jaillissant de l’âme populaire et qu’elle eût imprégné, pour toujours, d’un parfum spécial et unique, la poésie italienne, aussi bien la profane que la religieuse, la vieille poésie de l’Église, sa liturgie séculaire, s’en était déjà, presque aussitôt, ravivée et renouvelée. Par une communion immédiate avec l’âme de leur maître, si douloureusement émue aux seuls souvenirs de la passion divine, quelques-uns de ses premiers disciples avaient composé d’admirables chants. Ce sont ces poèmes fameux qui, sous le titre modeste de Proses (par opposition aux vers métriques), par les retentissemens solennels de leurs rimes fortes et sonores tombant, à coups redoublés, dans les oreilles et dans les cœurs, depuis plus de six siècles, n’ont cessé d’y jeter les mêmes pitiés ou les mêmes effrois. C’est au premier chroniqueur de François, Thomas de Celano, que l’on doit le Dies iræ, dies illa, où le dégoût des vanités terrestres et l’attente