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arrangemens militaires en vue d’éventualités limitées, sans que l’équilibre de l’Europe en soit ébranlé. Si nous parlons toujours de l’Allemagne et de l’Autriche, et non pas de l’Italie qui fait partie avec elles de la Triple-Alliance, ce n’est pas par oubli ; mais il est douteux que l’Italie ait participé à l’échange de vues qui a eu lieu, et plus douteux encore, si elle y a participé, qu’elle y ait apporté les mêmes dispositions que ses alliés. Nous avons cherché et finalement discerné les avantages réels, quoique inégaux, que les autres puissances mises en cause avaient pu trouver dans les arrangemens qu’on leur prête : en ce qui concerne l’Italie il est inutile de chercher, nous ne trouverions pas. Dans ce cas, comme dans quelques autres, ses intérêts propres paraissent avoir un caractère distinct de ceux de ses alliés.

On attribue volontiers les dernières résolutions de la Porte à l’influence croissante de l’ambassadeur d’Allemagne à Constantinople, et il est vrai que le baron Marschall de Biberstein, que tout le monde connaissait déjà pour un diplomate expérimenté, a montré, au moment de la révolution jeune-turque et depuis, une habileté consommée. La situation n’était pas facile pour lui au lendemain de l’événement. Son pays participait à l’impopularité sous laquelle Abdul-Hamid avait été écrasé. L’ancien sultan avait accepté, en effet, une sorte de tutelle morale de la part de l’Allemagne, et il en avait payé les avantages, d’ailleurs contestables, de nombreuses concessions et faveurs. Il faut cependant, si on se place au point de vue européen, rendre à Abdul-Hamid quelque justice et nous l’avons fait, quant à nous, au moment de sa chute, lorsque tout le monde l’accablait. Son gouvernement intérieur était exécrable. Jamais pays n’a été gouverné par une police plus mesquine et plus odieuse que la sienne. Les massacres qui l’ont ensanglanté ont été pour l’Europe le trait le plus apparent de ce régime ; mais pour les sujets d’Abdul-Hamid, les massacres n’ont été que des incidens rares, localisés, séparés par de larges intervalles ; ce qui était pour eux insupportable, c’était la tyrannie de tous les jours, tyrannie que l’Europe ne voyait pas, ou dont elle détournait les yeux parce qu’elle n’en souffrait pas. Avec tous ses défauts, Abdul-Hamid, homme intelligent, avait compris que l’intérêt de son Empire était de rester indépendant de toutes les combinaisons politiques européennes. Il semblait avoir fait sa règle du mot de Talleyrand qu’il faut être bien avec toutes les puissances et mieux avec quelques-unes. Il était mieux avec l’Allemagne, mais rien de plus, et à la condition de ne pas s’engager à fond avec elle et de rester bien avec les autres. Lorsqu’il lui avait accordé