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pratique, l’esprit d’initiative et l’attachement aux traditions.

Une telle richesse n’allait pas sans entraîner les convoitises, d’autant que les dissensions intestines étaient fréquentes. Les bourgeois, désireux d’être les maîtres, chassaient les nobles, les nobles rentraient, on les chassait de nouveau… La Réforme s’installait à Colmar ; le conseil de ville, composé exclusivement de protestans, détenait quarante ans le pouvoir le plus tyrannique, défendant aux processions de sortir, aux prêtres de porter ostensiblement le viatique aux mourans, aux moines de prêcher ; convertissant la chapelle du cimetière en corps de garde et le cimetière qui entourait l’église en place publique. Puis l’empereur Ferdinand II, vainqueur de ses ennemis, enjoignait de détruire tout ce qui était relatif au culte réformé ; les protestans abjuraient ou s’enfuyaient… Il fallait soutenir des guerres de voisinage, tantôt contre l’évêque de Strasbourg, tantôt contre l’évêque de Bâle… Enfin les étrangers s’en mêlaient, et tour à tour Autrichiens. Allemands, Lorrains, Bourguignons, Suédois, accouraient voir si l’heure de la domination avait sonné pour eux. Vainement Colmar s’alliait-elle aux autres villes libres d’Alsace, Haguenau, Wissembourg, Schlestadt, Obernay, Rosheim, Mulhouse, Kaysersberg, Turckeim, Munster, et formait-elle avec elles la ligue de la Décapole ; vainement y acquérait-elle tout de suite une situation prépondérante, puisque seuls ses députés, avec les députés de Haguenau, représentaient les dix cités aux diètes de l’Empire : elle ne cessait d’être assiégée, prise, rançonnée. Ravagée aussi bien par les Impériaux que par les Suédois, abandonnée par son suzerain trop éloigné, l’Empereur, elle n’eut d’autre ressource que de négocier un traité de protection avec la France, en réservant d’ailleurs son immédiateté et ses franchises. Un membre du conseil de Colmar, Mogg, greffier-syndic, soumit dès 1635 à Rueil cette proposition à Richelieu. Comme tous les jeunes gens qui se préparaient aux fonctions publiques, il participait à la fois aux deux cultures française et allemande : il avait étudié notre langue à Montbéliard, et il avait complété ses études de droit pratique à la Chambre impériale de Spire. C’était un vrai bourgeois de Colmar : l’intérêt seul de sa ville l’avait poussé à demander la protection de la France ; il la voulait libre et heureuse, et il comptait sur la puissance du Roi. Quand les traités eurent donné l’Alsace à la France, il devint un de nos