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festonnés, dédaigneuses d’alignement, l’étage surplombant les rez-de-chaussée de petites fenêtres aux volets verts ; les unes ventrues, voûtées, tout de travers, serrées ainsi que de vieilles femmes, et l’air vraiment humain ; les autres plus délicates, anciennes demeures de notables, au poutrage apparent, les murs parfois crépis, avec un portail sculpté, une tourelle, une galerie à rampe : c’est à chaque pas, dans le silence nocturne, un imprévu saisissant. Semblables ou parentes, les maisons sont toutes diverses, tant il y a de fantaisie dans leurs façades, dans leurs toits, dans les marques de l’âge. Les détails échappent, car la ville est peu éclairée ; mais justement tout acquiert par-là un visage mystérieux. Les eaux-fortes se succèdent… A quelques mètres de la grande rue, où, sous les clartés électriques, des groupes d’ouvriers s’égaient, c’est brusquement une place resserrée et obscure : les maisons au toit sombre, à la façade blanche, découpent nettement sur le ciel le profil de leur faîte ; seules les lumières, humbles lampes, brûlent derrière les fenêtres, dont les volets sont clos ; à droite, un bâtiment noir s’étend, on devine une tourelle, un escalier, une galerie ; nul bruit, que le bruit de l’eau qui tombe lentement d’une fontaine, nul passant… Plus loin, une sorte de canal ; les maisons reliées par des passerelles à la chaussée se penchent au bord de l’eau brune, des arbres y baignent leurs branches et s’y reflètent, du linge blanc emplit des baquets de bois ; le canal s’élargit, c’est une petite rivière, on distingue une forme de barque, des masures s’accrochent sur les rives, on dirait qu’elles vont crouler ; par quel prodige se soutiennent-elles encore ! Plus loin, tout se mêle, tout se confond, eau, arbres, masures… Sur une placette plantée d’arbres, devant un palais du pur XVIIIe siècle, un vieux marchand de fruits, debout sous le parasol de son étalage, oublie les heures. Un cheval blanc avance, son sabot résonne sur le pavé, un enfant le monte ; derrière, une femme, la mère, porte à la main un falot allumé que sa marche balance… Des arcades, une haute et longue maison, un pignon festonné, à chaque coin une fine tourelle que surmonte un toit pointu ; un chien traîne une voiture, les habitans prennent le frais au seuil des portes et causent ; des jeunes filles, têtes nues, se promènent bras dessus bras dessous… Et de nouveau de petites rues calmes, ténébreuses, qui grimpent, descendent, tournent ; parfois accoudée à la fenêtre, une femme qui regarde la rue où il