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du travail, au grand profit des anarchistes. Socialistes et syndicalistes se sont rapprochés dans une opposition commune au ministère Clemenceau et au ministère Briand. Les élections de mai ont fait profiter les socialistes de l’antipathie qu’inspirait la domination radicale et du désir de la secouer, bien qu’ils se soient montrés jadis les plus fermes soutiens, les plus ardens champions du combisme. D’une législature à l’autre, les voix socialistes ont augmenté de 200 000 : elles dépassent un million. La fraction socialiste, au Palais-Bourbon, comprend 70 députés au lieu d’une cinquantaine. Mais de leur propre aveu, ils doivent 17 sièges aux réactionnaires. Ils ont reculé dans quelques grandes villes, et gagné dans les campagnes où ces collectivistes se posent en champions de la petite propriété contre la moyenne et la grande. Ils reconnaissent que les progrès électoraux ne correspondent pas à l’extension de la doctrine et de l’organisation socialistes. Au nombre de 43 462, lors du Congrès de Stuttgart, ils ne dépassaient pas à Copenhague le chiffre de 54 000, ce qui donne au parti, avec son excès de députés et son corps si grôle, l’aspect d’un monstre hydrocéphale. Convertiront-ils prochainement, de gré ou de force, quarante millions de Français au socialisme ? L’un de leurs théoriciens les plus réfléchis, M. Fournière, en doute : la majorité des Français lui semble animée de l’esprit radical, c’est-à-dire démocrate, anticléricale et individualiste. Cependant l’étatisme et son contraire, le syndicalisme, font en France de grands progrès et luttent entre eux pour nous asservir.

Karl Marx voyait dans la Belgique le Paradis des capitalistes. Elle est aussi l’Eden des socialistes, ce qui prouve, quoi qu’en dise Karl Marx, que le Paradis capitaliste n’a pas pour condition d’existence un Enfer prolétarien. Le petit royaume compte 126 000 ouvriers organisés, des coopératives qui regorgent de prospérité et subventionnent sa presse. Trente-cinq socialistes siègent à la Chambre, sept au Sénat. Bien plus, les socialistes touchent au pouvoir. Depuis vingt-six ans, les catholiques gouvernent la Belgique, grâce au vote plural et au système proportionnel. Leur majorité n’est plus que de quelques voix. Les libéraux, qui se préparent à recueillir leur succession, ne pourraient gouverner sans faire appel aux socialistes Ceux-ci, à leur congrès de février 1910, tout en déclarant bien haut que le parti ouvrier ne devait jamais perdre son