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l’Adriatique. Puis, à la place des Gaulois expropriés et expulsés, Rome partagea les terrains en lots égaux qu’elle donna aux vétérans chargés de les dessécher et de les cultiver ; nous pouvons lire, en effet, dans Tite-Live que ces maremmes furent mesurées et divisées entre les colons. Tout ce réseau de chemins et de canaux date donc de vingt siècles. N’est-ce pas curieux de voir le cadastre impérial persister encore et la nature elle-même garder l’empreinte et proclamer la pérennité de l’œuvre romaine ? Ces divisions régulières cessent, au Nord, suivant une ligne sinueuse qui correspond aux rives d’un ancien lac, une sorte de lagune, la Padusa, qu’un simple cordon de sable séparait de l’Adriatique et que les torrens ont peu à peu comblée. Des milliers d’hectares sont couverts de champs de froment où jadis n’ondulaient que les roseaux des marécages. Toutes ces terres basses gagnées sur l’eau ont conservé d’ailleurs un caractère bien particulier. C’est la contrée que dépeint Francesca, lorsqu’elle parle à Dante de son pays natal, voisin de la mer « où le Pô se jette avec ses affluens pour y trouver la paix… »


Siede la terra, dove nata fui,
Su la marina dove’t Po discende
Per aver pace co’seguaci sui.


C’est un sol gras, aqueux, tiède, inquiétant, une région plate, sorte de Flandre méridionale, tout à fait différente du reste de l’Italie dont les lignes sont en général si nettes et si précises. Seules, visibles de très loin, quelques hautes cimes de pins parasols annoncent la Pineta et l’approche de Ravenne, l’antique cité des Exarques, isolée du reste du monde, où, par un de ces caprices si curieux de l’histoire, la vie civilisée se concentra pendant un siècle et qui, depuis, n’est plus qu’une gardienne de tombeaux. Comme on comprend que Dante, vieilli, fatigué, misérable, ait choisi pour mourir cette ville déjà morte, où il pouvait s’isoler des hommes et ne plus rencontrer dans ses rues désertes et sous ses pins funéraires que les fantômes impériaux !

A droite de la Via Emilia, au contraire, la nature est riante et variée. Vers Ferlimpopoli, une série de jolis coteaux, couverts de vignes, ont une grâce presque toscane. Sur l’un d’eux, dans une délicieuse situation au pied du mont des Capucins, s’étale le village de Bertinoro, ancienne propriété des Malatesta