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VI. — DE BOLOGNE A RIMINI

Cette partie de la Via Emilia est, au point de vue pittoresque, la plus intéressante. A droite, on longe presque constamment les derniers contreforts des Apennins sur lesquels se distinguent nettement les villages tassés dans les plis des coteaux, autour de légers campaniles. Derrière Bologne, par-dessus les toits de la ville, se dressent les monts della Guardia et la Madone de Saint-Luc d’où l’on découvre un magnifique panorama qui va, par les temps clairs, des Alpes à l’Adriatique. A mesure que l’on avance sur la route, on a une série de beaux coups d’œil sur chacune des gorges par où descendent les torrens qui se jettent, les premiers dans le Reno, les autres directement dans la mer. Sur la gauche, au contraire, c’est la Romagne, contrée basse et humide, semée de marais, plaine interminable qui s’étale à perte de vue, jusqu’aux lagunes qu’on pressent à l’horizon, et dont Dante définit assez exactement les limites quand il nous dit qu’elle s’étend


Tra il Po, il monte e la marina e il Reno.


Quoique moins fertile qu’avant Bologne, la campagne est encore riche et bien cultivée ; de grands bœufs blancs, attelés par six, huit et même dix paires, labourent profondément la terre grasse. Et toujours, comme pour faire une parure de fête à la route illustre, les vignes courent en guirlandes, d’un pioppo à l’autre. Les grappes lourdes sont gonflées à éclater. Nous approchons du temps des vendanges, de cet équinoxe d’automne que M. Gabriele d’Annunzio déclare l’époque la plus charmante de l’année parce qu’elle porte en soi une sorte d’ivresse aérienne émanée des raisins mûrs.

Et voici que je reconnais tout à coup une auberge, une rustique osteria où je me suis jadis arrêté, un jour d’été de je ne sais déjà plus quelle année… Au lieu du déjeuner qui m’attend à Faenza dans une salle basse et sans air, j’ai soudain le désir d’une nourriture frugale, sous de la vraie verdure, avec une bouteille de frais lambrusco, ce vin d’Emilie où se retrouve la saveur de nos plants français. Il est des heures où le sang des paysans que furent mes ancêtres bat plus fort dans mes artères et où j’éprouve l’impérieux besoin de vivre plus près de la