Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/612

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

achevé la Via Flaminia, lancèrent-ils cette nouvelle route qui, en droite ligne, de Rimini à Plaisance, constituait un magnifique boulevard stratégique. L’habileté du Consul Marcus Æmilius Lepidus, qui exécuta ce plan, en l’an 567 de Rome, fut si parfaite qu’après vingt et un siècles, la Via Emilia est encore la principale voie de communication de la région, et que, s’il fallait aujourd’hui en recommencer la construction, aucun changement ne serait à apporter au tracé qu’il choisit ; il sut triompher de toutes les difficultés qui se présentaient en la faisant passer ni trop près des Apennins, ce qui l’aurait exposée à un climat parfois très rude l’hiver et eût nécessité des ouvrages d’art, ni dans la partie basse de la plaine que de nombreux marais rendaient alors malsaine et dangereuse.

C’est ici, a Plaisance, que se terminait la Via Emilia et c’est d’ici que partaient les trois grands chemins qui menaient d’Italie en Gaule : l’un par Gênes et la Turbie, l’autre par Suse, Briançon et Die, le troisième par Aoste et le Petit Saint-Bernard. Le choix de Plaisance, comme forteresse avancée assurant aux logions le libre passage du Pô, indique également le sens pratique le plus averti ; la ville est encore aujourd’hui, par sa position même, une place importante : si une invasion était à craindre du côté du Nord-Ouest, c’est probablement à Plaisance, qui commande le fleuve entre Crémone et les défilés de Stradella, que se jouerait la partie décisive.

Érigée de très bonne heure en colonie militaire, la cité prospéra pendant toute la période romaine et au moyen âge où elle fut l’une des plus actives associées de la ligue lombarde. Sa décadence date des Farnèse, dont le triste souvenir s’impose au visiteur devant les restes sans grâce d’un lourd château et surtout devant les deux statues équestres d’Alexandre et de Ranuce que Stendhal trouvait déjà « plus ridicules que celles de Paris. » Il est certain que cette si jolie Piazza dei Cavalli est défigurée par les deux monumens de Francesco Mocchi, ce sculpteur qui, avant le Bernin, trouva le moyen d’avoir autant d’emphase et plus de mauvais goût. Il est à craindre que les Placentins, qui semblent au contraire en être assez fiers, ne veuillent jamais en débarrasser la belle façade de leur palais communal.

Cet édifice de marbre blanc et de briques vermeilles est un pur chef-d’œuvre et je connais peu de constructions de la période gothique dont l’aspect soit à la fois plus majestueux et plus