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la laisser traîner sur la table avec les autres. » C’était la lettre que Deering avait écrite sur le paquebot.

Lizzie rougit jusqu’aux yeux, mais n’en voulut point à Andora de sa pénétration. Pour rien au monde elle n’aurait soufflé mot de son bonheur, mais il ne lui déplaisait pas de le voir deviné ; et sa pitié pour Andora faisait place à la joie d’user de la détresse de la pauvre fille comme d’un miroir où se reflétait sa propre allégresse.

Deering écrivit encore une fois en arrivant à New-York : une lettre longue, tendre, pleine de regrets, sans précision sur ses projets, très explicite sur son amour. Lizzie était dans le ciel. Chaque syllabe s’inscrivait dans sa chair ; seulement, elle aurait été plus heureuse si Deering avait parlé plus clairement de l’avenir.

Cela viendrait, sans doute : il fallait lui laisser le temps de se retourner et d’aviser. Elle comptait les jours qui devaient s’écouler avant qu’elle pût recevoir une nouvelle lettre. Dès le matin, elle descendait furtivement au salon consulter les journaux et se renseigner sur la date d’arrivée du prochain courrier d’Amérique. Ce jour béni arriva enfin. Elle expédia distraitement sa besogne quotidienne, tâchant de cacher son impatience par les caresses qu’elle prodiguait à ses élèves. Il était plus aisé, dans l’état où elle se trouvait, de les embrasser que de retenir leur attention sur la grammaire.

Ce soir-là, arrivée au seuil de la pension Clopin, son cœur battait si violemment qu’elle dut s’appuyer un instant à la porte avant d’entrer. Mais sur la table du vestibule où était déposé le courrier, il n’y avait pas d’enveloppe à son adresse. Elle parcourut les lettres d’une main fébrile, et le cœur lui manquait, comme il lui était arrivé parfois en rêve, quand elle croyait rouler au bas d’un escalier sans fin, — ce même escalier, au sommet duquel elle avait cru voler, lorsqu’elle gravissait la longue côte conduisant à la porte de Deering ! Une idée la frappa subitement : Andora avait dû prendre sa lettre et la lui garder. D’un bond, elle fut sur le palier, à la porte de miss Macy.

— Vous avez une lettre pour moi, n’est-ce pas ? dit-elle, haletante.

Miss Macy la prit dans ses bras :

— Vous attendiez une lettre, chérie ?