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laissant croire qu’elle céderait quelque autre chose avec ses fleurs.

Les arbres fruitiers, poiriers, pommiers, pêchers, abricotiers, de 1 fr. 50 à 2 fr. 50 le pied, suivant leur force, ne semblent pas avoir renchéri aux temps modernes. Ils coûtaient souvent plus, — jusqu’à 3 fr. 75, — aux XIVe et XVe siècles, dans les campagnes de Normandie que ceux de Catherine de Médicis aux Tuileries, ou ceux des vergers seigneuriaux et bourgeois du temps de Louis XV. Les ifs « taillés en palissades, » — 4 francs la pièce, — valaient plus que de nos jours. Du moins dans le Nord, car les chiffres digéraient sensiblement suivant les provinces, pour toutes les essences : un poirier se vendait en Flandre le double de son prix en Orléanais ; un mûrier allait de 1 fr. 20 en Languedoc jusqu’à 8 francs en Picardie, et les pépiniéristes qui faisaient à Paris le commerce des plantes rares devaient exiger, d’un « arbre chinois, » un peu plus des 2 fr. 50 qu’il se payait à Avignon.

Plantes et fleurs sont un luxe créé par nos serres chaudes, fort peu comparables à ce que l’on nommait pompeusement ainsi au XVIIIe siècle. Celles que Louis XV avait installées à Trianon et Paris-Montmartel à Brunoy, en profusion, et dont le Roi et le financier étaient aussi fiers l’un que l’autre, n’avaient pas changé depuis l’invention attribuée au XIIIe siècle à Albert le Grand. Avec ces grands vitrages adossés à des murs « dans lesquels il y avait des fourneaux, » on obtint, dit-on, le 1er février des pêches grosses « comme le bout du petit doigt, » dont la maturité est demeurée problématique, et vingt ans plus tard ces constructions avaient disparu, telles qu’un jouet encombrant.


V

Ce qui était impérissable, ce que la postérité ne s’est pas lassée d’admirer, c’est le jardin français, le glorieux jardin de Le Nôtre, qui, au parterre naïf encore du XVIe siècle, tantôt isolé et gauchement confiné dans un coin du château comme un potager, tantôt étouffé comme un préau de cloître par des limites trop proches et trop massives, substitua cette conception géniale : un palais, un vrai palais de plein air.

C’est pour avoir mal compris la pensée de celui qu’on