Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/53

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lizzie sentit que des larmes lui montaient aux yeux. Son cœur éprouvait l’émoi particulier que lui causait toujours la voix de Deering. Elle mit la main devant ses yeux, d’un geste mécanique, et au même instant Deering lui tendit les bras. Elle s’y jeta, d’un élan subit, sentant qu’enfin la maison était à lui, qu’elle-même serait à lui s’il le voulait, et que jamais plus la présence obsédante de l’autre femme ne troublerait son bonheur.

Il releva sa voilette et couvrit son visage de baisers : « Voyons, petite bête, il ne faut pas pleurer ! » lui dit-il.


III

Il sembla tout naturel à Lizzie que Deering, avant son départ, voulût la voir dans un lieu moins public que ceux qu’ils fréquentaient d’habitude. Elle trouva même, dans le fait qu’il en exprimait le désir, la preuve de sa tendresse profonde et respectueuse. Il était évident qu’un homme du caractère de Deering ne pouvait songer, dans les premiers jours de son veuvage, à s’engager dans une aventure légère. Si donc, à un pareil moment, il fallait à leurs propos une atmosphère de recueillement et de calme, cela devait tenir à des raisons qu’elle n’osait se formuler, mais qui l’agitaient d’un saint frémissement. Elle ne s’arrêta pas à objecter les convenances : dans l’état de crise où se trouvait Deering, c’eût été de la dernière vulgarité ; les convenances sont des armes aux mains de l’innocence menacée : mais être en garde contre Deering !

Lizzie consentit donc sans peine à l’accompagner, la veille de son départ, au petit restaurant de la rive gauche où il l’avait priée de dîner avec lui. Et ce fut avec l’émotion grave d’une fiancée qu’elle descendit de son omnibus (elle n’avait pas permis qu’il vînt la prendre en fiacre), pour rejoindre l’élu qui guettait son arrivée au coin du pont de la Concorde.

Deering l’accueillit avec la même gravité attendrie, et le maître d’hôtel qui les introduisit dans un salon particulier n’aurait guère pu attribuer au motif habituel leur désir de s’isoler. Deering donna tranquillement les ordres, tandis que sa compagne se tenait menue et grave à côté de lui. Certes, elle ne voulait pas que son angoisse intime vînt ternir le bonheur de leur dernière réunion. Elle comprenait que Deering redoutait le