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« moyen âge » et que, grâce au recul des temps, nous imaginons tous pareils, ne se ressemblent nullement. Il y eut plus de différence, au point de vue des convenances de l’habitation, entre ceux du milieu du XIVe siècle et ceux de la fin du XVe, qu’entre ceux de la Renaissance et ceux du siècle de Louis XIV, bien que ces derniers, au point de vue architectural, n’eussent absolument rien de commun avec leurs prédécesseurs immédiats.

Josselin, par exemple, demeure patrimoniale des Rohan, qui semble à nos yeux une relique féodale, était, pour le sire de Rohan qui l’édifia vers 1480, un logis de goût tout moderne, fait pour remplacer le vieux château du même nom, dont Beaumanoir avait été le capitaine (1351), dont le connétable Olivier de Clisson avait augmenté les défenses (1400) et qui, déserté par les contemporains de Louis XI, vieillit dans l’abandon jusqu’à sa démolition en 1629. Les chevaliers du XIVe siècle avaient une première fois, comme à La Rochefoucauld, démoli les forteresses de leurs ancêtres du XIIe pour leur en substituer de nouvelles, aussi bien que, deux cents ans plus tard, leurs descendans repétrirent à leur mode les constructions gothiques.

Il est très rare de voir, comme à Biron, les ouvertures en plein cintre de l’époque romane côtoyer des fenêtres à meneaux, surmontés d’accolades, du XVe siècle, qui voisinent elles-mêmes avec un pavillon du temps de Henri IV. Il est plus rare encore qu’une ample maison de campagne à vérandahs, suivant les plans de la Restauration ou de Louis-Philippe, succède, ainsi qu’à Randan, à un oppidum très peu postérieur à Charlemagne, sans que rien soit resté debout qui rappelle les dix siècles d’intervalle. Est-ce parce que les bâtimens ont vécu comme les hommes sans respecter le passé et sans toutefois l’abolir ? Toujours est-il que le plus grand nombre fut remanié lentement et sans trêve, avant comme après le XVIe siècle. Mais ce qui caractérise, en opposition à l’idéal gothique, l’idéal de la Renaissance, c’est que le mot de « château, » qui en latin, étymologiquement, voulait dire un « fort, » perdit son sens belliqueux pour prendre dans la langue nouvelle une acception de noble beauté.

Ce changement d’objectif dans les mœurs précéda la révolution artistique : Gaillon fut bâti par le cardinal d’Amboise « à la moderne, » écrit Du Cerceau en 1576, ce qui pour nous veut dire en gothique de 1500 ; mais ce qui, pour l’architecte de