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chât, par l’effet d’un zèle invraisemblable, à hâter l’heure des leçons ; mais elle ne résistait pas au désir de voir ce qui se passait dans la rue. Cette fois pourtant, Lizzie, après avoir vainement prêté l’oreille, dut enfin donner un second coup de sonnette, et elle se dit que l’enfant s’était probablement attardée à l’office ou à la cuisine.

Lizzie sonna une troisième fois sans que l’on vînt ouvrir ; alors, prise d’une crainte vague, elle se recula et leva les yeux sur la façade de la maison. Elle vit que les persiennes de l’atelier étaient grandes ouvertes, au lieu que celles de Mme  Deering restaient fermées. Sans doute la maîtresse de la maison se reposait après les fatigues du voyage. Mais pourquoi Juliette ne venait-elle pas ? Lizzie leva de nouveau les yeux et vit Deering qui s’approchait de la fenêtre. Il l’aperçut et vint ouvrir. Il semblait plus pâle que de coutume, et elle remarqua qu’il portait des vêtemens noirs.

« J’ai sonné et resonné… Où est donc Juliette ? »

Il la regarda d’un air, grave, presque solennel ; puis, sans un mot, la conduisit à l’atelier dont il ferma la porte.

« J’ai perdu ma femme ; elle est morte subitement il y a dix jours. Est-ce que vous ne l’avez pas lu dans les journaux ? »

Lizzie eut un faible cri et se laissa tomber sur le mauvais divan de l’atelier. Elle voyait rarement les journaux, ne pouvant pas en acheter pour son compte, et ne trouvant jamais l’occasion de jeter un coup d’œil sur ceux que recevaient les pensionnaires plus privilégiées de Mme  Clopin.

— Non, je n’en savais rien, balbutia-t-elle.

Deering se taisait ; il restait debout devant elle, tortillant nerveusement une cigarette qu’il n’avait pas allumée, et fixant sur la jeune fille un regard où il y avait de l’hésitation et de l’embarras.

Elle aussi se sentait gênée. Après ce qui s’était passé entre eux, elle se voyait incapable de trouver des paroles qui ne sonnassent pas faux ou ne parussent pas un manque de cœur. Enfin elle soupira, en se levant : « Pauvre petite Juliette ! Est-ce que je ne puis pas aller la voir ? »

— Juliette n’est pas ici. Je l’ai laissée à Saint-Raphaël, avec les parens chez qui était ma femme.

— Oh ! murmura Lizzie, avec le sentiment vague que l’absence de l’enfant rendait la situation plus difficile encore.