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affranchir : émancipation politique. Il est sous la dépendance de patrons qui, détenant les instrumens du travail, l’exploitent, l’oppriment et l’abaissent ; il doit secouer leur joug : émancipation économique. Il est dominé enfin par une caste appelée dirigeante, à qui son développement intellectuel assure une prépondérance indue dans la direction des affaires ; il doit se soustraire à sa domination : émancipation intellectuelle. Le nivellement des conditions à ce triple point de vue établira parmi les hommes l’égalité, et cette égalité est la vraie justice humaine. Une organisation politique et sociale fondée sur cette double base, la liberté et l’égalité (auxquelles viendra bientôt s’ajourner la fraternité), voilà ce qu’ils appellent la démocratie. » La lettre de Home résume ainsi les doctrines du Sillon. Ce résumé est-il tout à fait exact ? M. Sangnier proteste du contraire ; il ne se reconnaît pas dans ce portrait. Quoi qu’il en soit, de pareilles tendances, à supposer qu’il n’y ait là que des tendantes, sont périlleuses : elles conduiraient tout droit à l’anarchie. La lettre du Pape reproche aux créateurs du Sillon d’avoir conçu une cité idéale et qu’ils ont mise au-dessus de tout, en laissant entendre que c’était déjà celle de l’Église, ou qu’elle le serait un jour. Il n’en est rien, déclare-t-elle, et à la cité du Sillon elle oppose la cité catholique, construite en conformité avec la nature humaine et les lois de l’histoire. Ce qui domine dans la conception catholique, c’est l’autorité : elle est supérieure à la liberté et elle condamne l’égalité. L’autorité ne vient pas du peuple, c’est-à-dire d’en bas ; elle vient d’en haut, c’est-à-dire de Dieu, qui la confère aux gouvernemens, quels que soient d’ailleurs leur forme et leur nom. Le Pape n’en réprouve aucun. Elle ne condamne nullement la République, ni même, en un certain sens, la démocratie ; mais elle n’admet pas, et, pour être juste, reconnaissons qu’elle ne pouvait pas admettre, avec M. Sangnier, que la démocratie et la République étaient ou devaient être l’aboutissement unique et nécessaire de ses doctrines. Elle admet indifféremment la République en France, en Suisse, dans les deux Amériques, et la monarchie dans le reste du monde. Dieu place l’autorité où il veut, aussi bien dans les peuples que dans les rois, à la condition qu’on reconnaisse qu’elle vienne de lui seul. Tel est, nous semble-t-il, le sens de la lettre romaine, et, à tous ces points de vue, elle est inattaquable. Mais pourquoi, dans l’entraînement de sa logique, prend-elle s fortement parti contre l’idée doctrinale d’égalité ? Pourquoi affirme-t-elle comme une vérité certaine qu’il y aura et qu’il faut qu’il y ait toujours des classes diverses dans la société ? « Il y