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comme nous l’avons vu, de reconnaître aux esclaves des droits véritables, du moins il veilla à ce que les excès de toute nature que leurs maîtres pouvaient commettre envers eux fussent portés devant l’autorité judiciaire. Quant aux affranchis, il s’opposa à un projet de loi qui tendait à rendre leur libération révocable au gré du maître dans certains cas d’ingratitude flagrante. Ces deux exemples, à défaut d’autres, attestent son désir de respecter et de faire respecter l’humanité dans la mesure où cela pouvait se concilier avec les lois existantes.

Quant à sa politique extérieure, elle fut, comme tout le reste de son administration, sage et modérée. Il avait trop de bon sens pour se lancer dans des entreprises belliqueuses qui n’auraient pu que compromettre la sécurité d’un empire déjà bien assez étendu. Mais d’autre part, malgré les belles théories stoïciennes sur la fraternité de tous les hommes, il ne croyait pas que, pour être « citoyen du monde, » l’on dût être moins citoyen de son pays. Egalement éloigné des fanfaronnades agressives et des faiblesses déshonorantes, il suivit un plan de défensive énergique, qui avait été celui d’Auguste et de Tibère, et qui devait être après lui celui des empereurs les plus raisonnables. Par ses ordres, le commandant de l’armée d’Orient, Corbulon, temporisa autant qu’il put, mais, une fois attaqué ouvertement par les Parthes, il marcha contre eux sans hésiter, et leur enleva toute influence sur le « royaume tampon » d’Arménie. Les troupes du Rhin repoussèrent avec autant de vigueur les empiétemens des Frisons et des autres peuplades germaniques. En Bretagne, la situation fut plus troublée, notamment lors de la révolte de la reine Boudicca ; mais, dès que la tourmente fut passée, Sénèque fit rappeler le général Suetonius Paulinus, dont les maladresses avaient surexcité les Bretons, et le remplaça par un gouverneur de plus de sang-froid.

En somme, qu’il s’agisse de justice ou de finances, de guerre ou de diplomatie, les décisions de Sénèque semblent bien avoir été presque toujours les plus judicieuses et les plus honnêtes. Respecter la liberté individuelle des citoyens, leur rendre l’existence plus aisée, faire régner l’ordre et la paix à l’intérieur comme aux frontières, tel fut son programme : il y en a peut-être de plus éclatans, il y en a peu de plus louables. Il n’élabora point une nouvelle forme de constitution ; il n’aspira point à reconstruire la société de fond en comble : sans fracas et sans