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The art itself is nature, comme dit Shakspeare. Reste à savoir si, considérée, en ce sens, dans tout ce qui s’y manifeste, la nature se suffit et n’est que nature. Nature is supernatural, disait Elizabelh Browning. Et Pascal : « L’homme passe infiniment l’homme. » Au sens strict et naturaliste du mot, la nature n’est autre chose que l’ensemble des choses qui ont été, sont ou seront perceptibles par les sens. Elle ne saurait donc fonder la foi, l’espérance et l’amour que la morale présuppose. Car cette foi porte sur des objets qui, matériellement, ne sont pas ; cette espérance conçoit comme possible la réalisation de fins indifférentes à la nature, par des moyens que la nature semble exclure. Et cet amour, assez fort pour persuader à l’individu de se donner, de se sacrifier, ne saurait se fonder, ni sur l’instinct de l’individu, qui est de se faire le centre du monde, ni sur le droit d’autrui, qui n’a pas plus de valeur que le nôtre propre. L’amour ne peut venir que d’en haut :


Das Ewig-Weibliche
Zieht uns hinan.


Qu’est-ce que l’amour de l’enfant pour ses parens, sinon une répercussion de l’amour des parens pour leur enfant ?

Supranaturelles, en tant que le mot nature est pris dans son sens strict et scientifique, les conditions premières de la vie morale répondent à l’idée que, communément, les hommes se font de la religion.

Si, de tout temps, la religion a exercé une si profonde influence sur la vie, les sentimens, les actions des individus et des sociétés, c’est, apparemment, qu’elle est une énergie, une chose vivante, et non pas seulement un système de formules et d’abstractions ; elle ne concerne pas seulement le penser, mais l’être. Elle est, essentiellement, un moteur, une source d’amour, de volonté, de force. Et, si elle demeure suspecte à la science, en dépit de tant d’efforts de conciliation, n’est-ce pas qu’elle vit d’élémens que la science, comme telle, ne connaît pas, ou ne peut faire rentrer dans ses cadres ?

Or tels sont précisément la foi, l’espérance et l’amour que demande la morale. La foi morale est une détermination de la volonté qui se rapporte au devoir ; et le devoir implique un objet supérieur, en face duquel l’attitude de l’homme est le respect, la vénération, l’obéissance. L’espérance morale est une