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UN PHILOSOPHE MINISTRE
SOUS L’EMPIRE ROMAIN

LE GOUVERNEMENT DE SÉNÈQUE

Sénèque n’a jamais manqué de lecteurs en notre pays. Dès l’époque où se forme notre littérature classique, Montaigne le prend, en même temps que Plutarque, pour le guide le plus habituel de ses méditations morales. Un peu après, Charron et Du Vair le pillent sans réserve ; Malherbe le traduit ; Pascal le connaît ; Bossuet imite, dans son Sermon sur la mort, quelques passages du traité sur la Brièveté de la vie ; il n’est pas jusqu’à Regnard, dont la plaisanterie légère, en jetant le nom de Sénèque au milieu des lazzi du valet du Joueur, ne donne au philosophe cette consécration suprême de popularité qu’est la parodie. En plein XVIIIe siècle, Diderot, dans son Essai sur les règnes de Claude et de Néron, lui consacre quelques pages d’un enthousiasme qui, comme on peut s’y attendre, va jusqu’à la frénésie. Et si le XIXe siècle se détourne un peu de lui, comme de tous les écrivains anciens, quelques intelligences d’élite, particulièrement éprises de délicatesse psychologique ou de grandeur morale, reviennent volontiers à ses ouvrages : les belles études d’un Caro ou d’un Gréard, d’un Boissier, d’un Constant Martha surtout, suffisent pour attester que Sénèque n’a pas cessé d’être un des maîtres favoris des esprits fins et des âmes nobles.

Mais si l’on s’est toujours accordé à voir en l’auteur des Lettres à Lucilius un des moralistes les plus ingénieux de