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Quelques mots de vous venus en Bretagne me seraient aussi bien doux ; et j’irai, dans trois semaines, vous répondre à Paris même.

Ma bonne et ancienne amitié vous destine ma première visite.

A vous d’esprit et de cœur.

A. BRIZEUX.


S’il fallait répéter comme exacte une anecdote assez connue, c’est par une attaque dirigée contre l’homme même que Montalembert aurait fait écarter Brizeux, lorsque son nom fut proposé comme un de ceux qu’il était équitable de retenir. Persuadé, à tort ou à raison, que ce poète, commensal des auberges de la Bretagne, était tout l’opposé d’un buveur d’eau, il aurait ruiné sa candidature avec ces simples mots : « N’est-ce pas assez de M. de Musset ? » Il n’est pas nécessaire de recourir à ces grosses raisons pour expliquer la réserve de l’Académie.


VII

Brizeux trouva dans la phtisie l’adversaire vraiment cruel. Ne voulant plus passer l’hiver dans ces brouillards de Lorient qu’il regardait comme l’unique cause de ses accès de toux, « d’abominable toux, » il partit pour Paris, contre l’avis du docteur cette fois, et malgré les pleurs de sa vieille mère. Là, se traînant avec peine, il erra par les rues, monta chez deux ou trois amis, se tint, pendant plusieurs jours, chez son frère Ernest Boyer, sous- préfet de Corbeil, et revint encore à Paris, avec Barbier, à la recherche d’un rayon du soleil de mars, aux Tuileries, dans le coin des vieillards frileux, avant de s’en aller en Languedoc, où le souvenir de ses bons et généreux hôtes d’antan, les Saint-René Taillandier, l’attirait. Un mois avant de se mettre en route pour Montpellier, il écrivit à Alfred de Vigny un billet plein de grâce triste, le dernier :

(L’enveloppe porte le timbre : Paris, 16 mars 58.)


Cher ami, lorsque vous êtes venu visiter un ami malade, il était avec Barbier, sous les arcades Rivoli, cherchant plutôt que trouvant un peu de chaleur. J’ai fort regretté de n’avoir pu vous serrer la main, mais nous aurions échangé peu de paroles. Depuis quelques semaines la voix me manque : lupi Mœrim vidëre priores.

Décidément il faut quitter les bons amis de Paris et aller chercher ce grand ami appelé le soleil… si lui-même est encore de ce monde.

Tout vôtre.

A. BRIZEUX.