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pris d’une sorte de tendresse pour ce poète de son goût, fait à ses vers une place de moins en moins ménagée dans la Revue des Deux Mondes. Et n’est-ce pas le directeur de la Revue qui » le premier, avec sa décision accoutumée, formule ce jugement : « M. Brizeux doit être de l’Académie ? »

Cette idée, Sainte-Beuve et Vigny l’accueillent. En attendant de s’appliquer à la faire adopter par un certain nombre de leurs confrères, ils s’attachent à commenter, sous la coupole, les mérites d’un nouveau recueil, paru au début de l’année 1855, et intitulé Histoires poétiques. L’abbé Lecigne n’a connu que les lettres de remerciemens de Brizeux à Sainte-Beuve : c’est donc à Sainte-Beuve seul qu’il attribue tout le mérite d’avoir demandé et obtenu, pour ce livre de vers, une médaille d’or. Mais deux autres lettres inédites de Brizeux à Vigny, l’une du 18 juillet 1855, écrite de Douarnenez, l’autre du 12 août 1855, écrite de Lorient, nous révèlent toute l’attention, disons toute la part, qu’Alfred de Vigny avait prise à ce nouveau succès.


Mon cher ami,

La bonne nouvelle (il n’en peut venir d’autre de vous) s’est, pendant huit jours, attardée à Quimper. Enfin un ami me l’apporte. A vous remercier, car vous devez être pour beaucoup dans cette décision, je mets tout l’empressement que vous avez mis à m’écrire. Voici une heureuse lettre à montrer dans quelques jours à ma vieille mère ; votre nom sera béni par elle.

J’attendais cette fleur de Paris pour quitter la grande baie d’où je vous écris, la plus belle baie de Bretagne et de France avec celle de Brest, qui, selon un certain capitaine, peut voir manœuvrer tant de vaisseaux de ligne ! Ici, il n’y a guère que des barques de pêcheurs, mais, avant deux semaines, on en comptera près de huit cents.

C’est un spectacle étrange, cette année surtout, où ces barques ne sont guère montées que par des vieillards et presque des enfans : hommes faits et jeunes gens étant tous à servir sur les vaisseaux de l’État.

Ce spectacle m’a donc excité à écrire, outre les scènes maritimes que j’adresse à la Revue, cette espèce d’Iambe que vous me demandez et que je vous envoie. J’aimerais mieux vous le porter moi-même, et surtout entendre quelque chose de ce que vous enfermez, mystérieux, dans vos portefeuilles. Dans six semaines, il faudra pourtant les entr’ouvrir. L’oreille toute pleine de langage celtique voudra s’adoucir aux purs sons parisiens.

Donc, à bientôt, cher et parfait ami.

A. BRIZEUX.


L’Iambe, dont il est question dans cette lettre et qui, du reste, l’accompagne, porte le même titre qu’une autre pièce,