Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/358

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inscrire Brizeux pour une indemnité littéraire annuelle, dont les ministres, ses successeurs, renouvelèrent l’octroi.

Les documens qu’on vient de lire n’expliquent-ils pas clairement qu’en juillet 1845, dès qu’il crut le moment venu de prendre part aux séances de l’Académie, Alfred de Vigny ait réussi sans peine à bien disposer Villemain, secrétaire perpétuel, en faveur d’Auguste Brizeux, dont il venait l’entretenir encore ? Aidé par lui très puissamment, secondé par Victor Hugo, et non contrarié, ici, par Sainte-Beuve, il demanda et il obtint pour le poète, son ami, une médaille d’or de la valeur de 2 000 francs.

Le couplet académique écrit, à cette occasion, par Villemain dans son rapport, ne paraîtra sévère qu’à un panégyriste de Brizeux : il est équitable, il est presque indulgent. « Le poème des Bretons n’est pas également travaillé ou également inspiré dans toutes ses parties. La négligence s’y montre à côté du talent… Mais il s’agit de poésie, c’est-à-dire d’une des plus grandes difficultés du monde, et si le nouvel essai de M. Brizeux était aussi parfait dans l’ensemble qu’il a souvent de pathétique et de naturel, s’il avait toujours l’élégante originalité de son poème de Marie, il eût fallu le préférer à tout. » L’Académie ajoutait-il, n’avait pas seulement voulu récompenser l’ouvrage ; elle honorait aussi « ce qu’il y a de rare et de noble dans l’auteur, poète par le cœur comme par le talent, vivant de peu dans la solitude, se soumettant à traduire en prose le Dante pour gagner quelques loisirs de liberté rêveuse et d’inspiration pour son compte, dans une chaumière où il s’est retiré et d’où la célébrité le ramènera un jour. » Il est permis de retrouver dans ces paroles, d’une bienveillance peu banale, l’impression des confidences d’Alfred de Vigny.


V

Mais l’insidieuse maladie qui devait emporter Brizeux, commençait à le tourmenter, avant de s’attacher à le détruire. Deux hivers très humides l’avaient laissé fort délabré. Il se persuadait, peut-être avec quelque raison, que seul un climat chaud lui rendrait la santé et les forces. Dès que le viatique, autrement dit l’or monnayé de sa médaille, lui parvint, il repartit pour l’Italie.