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prix, entendre murmurer le si italien. Pour diminuer les frais de route, il s’en ira de Lorient à Bordeaux, et, par voie fluviale, utilisant le canal du Midi, il gagnera Marseille. Où emporte-t-il l’épopée des Bretons pour la terminer ? A Florence. Il en écrira les derniers vers, du 27 janvier au 14 mai, à quelques pas du Dôme et du Campanile, après de longues stations devant les bas-reliefs, d’un art si raffiné, des portes du Baptistère. C’est à Rome, entre le musée du Capitole et les galeries du Vatican, qu’il réparera tout l’ouvrage.

L’année 1845 est, ici, deux fois à noter : Alfred de Vigny entre à l’Académie française, et Auguste Brizeux livre au public son grand poème, les Bretons. Ces deux événemens se suivent de fort près : l’élection est du mois de mai, le volume paraît en juin.

Malgré les articles, suffisamment élogieux, de Sainte-Beuve dans la Revue Suisse et de Magnin dans la Revue des Deux Mondes, cette épopée, sur laquelle le poète avait fondé tant d’espérances, n’eut qu’un succès de sérieuse estime. Elle ne força pas, comme Brizeux avait pu se l’imaginer, l’admiration du grand public, et, ce qui est plus grave, elle n’eut pas, au même degré que Marie, l’approbation des connaisseurs. Le charme de l’imprévu et l’air de jeunesse, qui avaient fait la fortune du premier poème rustique, ne se retrouvaient pas dans le second. Sans doute, les morceaux bien construits et d’une belle qualité n’y étaient pas rares, mais ils se reliaient entre eux par des raccords d’une singulière lourdeur, par des transitions d’une diffusion stérile. Des bons vers, à foison, — des vers charmans plutôt que forts ; — des notations fines, assez souvent ; de l’émotion, de la simplicité, comme jadis, et dans plus d’un endroit ; mais, des contorsions aussi, quelque abus de naïveté, quelque sensiblerie, quelque grandiloquence ; de la couleur, plaquée parfois sur le sujet, et, ce que les Parnassiens déclareront bientôt la honte des rimeurs, du remplissage.

Lui-même, quand il vit, sous l’éclat du grand jour, cette œuvre, longtemps limée à la lumière atténuée et trop flatteuse de sa petite chambre de travail, il connut la minute douloureuse de sens critique, où l’on démêle, d’un coup d’œil, tout ce qui manque au poème accompli, tout ce qu’un burin, moins facile ou moins indolent, en aurait rayé sans pitié. Ce qu’on éprouve, à ce moment-là, si l’on est vraiment un artiste, c’est