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une délicatesse d’imagination inconnue ailleurs depuis Athènes, un parfait sentiment qu’ils ont mis dans l’art d’abord, — quand Florence produisait Dante, Machiavel, Boccace, Michel-Ange, toute la foule de ses peintres et de ses architectes, et, la source de l’art épuisée, qu’ils ont conservé dans la pratique de la vie… Je le crois, Florence vous plairait. C’est un mélange de grandeur colossale et d’exquise finesse qui n’appartient qu’à elle. Antoni, qui a si bien compris la sévère beauté du génie italien, plus tard, je le pense, rendra justice à la patrie de son cher Dante, à la ville la plus italienne de toute l’Italie.


Dans ce premier voyage, Brizeux n’a fait qu’entrevoir Rome ; il n’a pas pu être saisi par sa grandeur. Ici, d’ailleurs, — je parle de la Rome non encore dévastée par la folie des constructeurs, plus malfaisans que les invasions barbares, — l’impression première est décevante pour beaucoup de visiteurs. L’intérêt suprême des monumens, le sentiment d’admiration et d’émerveillement que cause, au bout de quelque temps, le nombre, la beauté, l’éloquence des ruines, tout cela Brizeux l’éprouvera et le professera plus tard. Il ne pourra plus se détacher de Rome après l’avoir connue, c’est-à-dire adorée. Il en parle, pour le moment, en véritable étourneau d’atelier, tranchante la légère et sur un ton superficiel et affecté tout ensemble qui n’est pas dans ses habitudes : « Il faut être artiste ou prêtre pour y demeurer. Encore la Rome moderne est-elle si mesquine, comparée aux douze vieilles colonnes du Forum, qu’un artiste véritable s’y trouve comme un païen oublié parmi les catholiques, il y blasphème au son des cloches. »

De Venise, où il n’est que depuis un jour, il a vu « le soir, dans les cafés, de fort beaux yeux noirs sous des dentelles, » et, le matin, « à la hâte, la place, le palais, l’église de Saint-Marc, le tout éblouissant et digne du magnifique More. »

La littérature, on le reconnaît à cette allusion, n’a pas perdu ses droits. Le voyageur voudrait savoir si les poètes lui « feront bon visage » à son retour, « vous, Monsieur Emile Deschamps, Sainte-Beuve, votre excellent Léon de Wailly. » On lui a dit que Stello était achevé. Il est impatient d’en connaître « la dernière partie, » de lire aussi « le nouveau poème de M. Deschamps, » et il ajoute avec un accent de regret : « La poésie, la seule chose de Paris qu’on puisse aimer, j’ignore ce qu’elle est devenue. »

Il joint à sa lettre un présent, l’envoi de deux « chansons. » Ces deux chansons ne sont que deux dizains, comme il en fit