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sur ces matières, chercher en dehors de la connaissance pure et simple les fondemens du progrès moral.

Ce que l’instruction ne suffit pas à fournir, plusieurs pensent le trouver dans les effets de la loi naturelle de l’adaptation, en tant que cette loi s’applique nécessairement aux rapports de l’individu avec la société dont il fait partie. N’y a-t-il pas, disent-ils, dans cette adaptation, que la vie elle-même impose et réalise chaque jour davantage, un principe de progrès, répondant de tout point aux exigences de notre conscience et de notre raison ?

Certes, le progrès moral est une adaptation, mais ce n’est pas l’adaptation à une chose donnée, cette chose fût-elle la société. L’humanité, en poursuivant le progrès moral, veut s’adapter à quelque chose de supérieur à elle. Si la morale prescrit l’adaptation de l’individu à la société, c’est qu’elle voit dans la société un être qui vaut plus que l’individu. Ce n’est pas la société, c’est la perfection, qui est le modèle. La société est pour ses membres une fin morale, parce qu’elle comporte une perfection supérieure à celle dont ses membres, comme individus, sont capables. C’est donc à la société idéale bien plus qu’à la société réelle, que la conscience de l’individu a le devoir de s’adapter.

Et la société idéale elle-même n’est pas le terme de l’effort moral. L’ambition de l’homme, en ce domaine, ne va à rien de moins qu’à conférer à ses actions, à ses sentimens, à ses pensées, une valeur absolue. C’est, par-delà toute réalisation visible de l’être, vers l’auteur même de l’être et de la perfection, que l’homme se tourne, plus ou moins consciemment, lorsqu’il cherche l’objet auquel il doit adapter sa vie pour lui donner vraiment un caractère moral.


De toutes parts, donc, l’examen des conditions de la morale mène au même résultat. La morale traditionnelle, la morale, peut, en fait, se constituer comme système de préceptes, être efficace, progresser, sans invoquer, explicitement, d’autres principes que ceux qu’elle porte en elle. Mais ces principes, que l’abstraction dégage, sont, en réalité, des postulats. Et si l’on veut que ces postulats n’apparaissent pas comme de simples faits, fortuits et sans valeur, il faut dépasser la sphère de la morale proprement dite, et chercher s’il n’existe pas, pour la vie