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seul jeu des forces dont se compose le monde donné, ou réclame-t-il l’action d’un moteur invisible, inaccessible à notre connaissance expérimentale ?

En fait, le progrès dans les idées morales peut se produire, sans que les hommes semblent faire appel à d’autres principes que ceux qui résument leur expérience.

Une méthode de progrès communément employée est, par exemple, la recherche de la symétrie, de la correspondance, de ce que l’on appelle l’accord logique entre les règles diverses qui sont en vigueur dans une société. C’est ainsi que, certains droits étant reconnus à une catégorie d’individus, on considérera comme un progrès moral d’étendre ces droits à d’autres catégories, assimilées aux premières. On poursuit, en ce sens, l’abolition universelle et totale de tout ce qui rappelle la dépendance de l’homme à l’égard de l’homme, ou encore l’assimilation intégrale de la femme à l’homme, ou l’égalité de condition entre tous les membres d’une société.

Une seconde source empiriquement donnée de progrès dans les idées morales est le prestige et l’influence des hommes supérieurs. Par la puissance de leur intelligence, par leur énergie, par la forme saisissante dont ils savent revêtir leurs conceptions, par la durée et la grandeur de leurs œuvres, ils forcent l’attention des hommes, et déterminent parmi eux des impressions et des réflexions qui conservent, fixent et développent les vues nouvelles qu’ils ont apportées.

Enfin, l’on peut dire que la vie humaine tout entière est faite d’essais, d’épreuves, d’expériences, qui, en quelque sorte automatiquement, distinguent et dégagent les idées justes, belles et fécondes, de celles qui sont indignes et incapables de vivre. L’histoire est une dialectique. Elle provoque les solutions concevables, critique ces solutions, et retient celles qui résistent à ses objections.

Et ainsi, par des voies multiples, la morale semble, dans nos sociétés, progresser d’elle-même.

Peut-on, toutefois, assimiler réellement le travail qui engendre ce progrès au jeu mécanique de forces données ? N’y a-t-il ici autre chose que la production automatique d’un état d’équilibre plus stable entre des élémens préexistans ? ou surgit-il des inventions véritables, des créations, effectivement propres à grandir la dignité, à enrichir l’essence de la nature humaine ?