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jamais d’avoir du talent et préservera le talent de ses écarts.

Et cette minutie, les gens que la méthodologie épouvante la trouvent bien vite où elle n’est pas, et il ne faudrait point que le public s’y trompât. On s’est indigné sur certains sujets de composition donnés aux étudians : « Etudier le rôle de l’adjectif ou du verbe dans cette page de Montaigne. » Se peut-il sujet plus ridicule ! — Mais, s’il vous plaît, si vous n’avez pas étudié comment Montaigne emploie l’adjectif ou comment il emploie le verbe, et s’il a préférence pour l’emploi de l’adjectif ou pour celui du substantif, et si son adjectif est plutôt moral ou plutôt pittoresque ; vous pourrez savoir si Montaigne est plutôt sceptique ou plutôt stoïcien, oui, peut-être ; mais vous ne saurez rien de la langue de Montaigne qui, étant sans doute la marque de son âme en tant qu’artiste, a cependant quelque importance.

Savoir le plus possible, pour comprendre le plus possible ; avoir des méthodes sûres pour savoir plus précisément et pour comprendre plus exactement, c’est le solide de l’enseignement, c’est l’enseignement solide tout entier.

— Mais, me dira peut-être quelqu’un, vous plaidez depuis une heure contre vous-même. — Il y a apparence ; car mon information est très courte, et je n’ai jamais eu la moindre méthode ; mais il ne s’agit pas de moi, qui remonte à un temps où l’enseignement littéraire méthodique n’existait pas et où l’on ne pouvait mieux faire que d’appeler dans une faculté, pour y montrer le français, un bon professeur de rhétorique ; il s’agit de l’enseignement tel qu’il est constitué en 1910 et de savoir ce qu’il vaut et d’indiquer au public, insuffisamment renseigné, au moins quel en est l’esprit et le dessein, sur quoi le public pourra juger.

J’ajoute un seul mot que j’ai déjà dit, il y a quelques années, quand commençait la campagne contre la Faculté des lettres, mais qu’il n’est pas absolument impossible qu’on ait oublié. Montesquieu répétait qu’il fallait corriger le climat par les mœurs et corriger les mœurs par les lois. Autrement dit, il ne faut point incliner volontairement du côté où déjà l’on penche, mais plutôt au contraire. Or le penchant du Français est du côté des idées générales et de la rhétorique brillante. Ce n’est donc pas ces inclinations qu’il faut favoriser, flatter, caresser et entretenir sur le budget de l’Etat. C’est affaire d’industrie privée. Les conférenciers et les journalistes y suffiront. Ce qu’il faut certainement,