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médiocre ; et dès que l’on descend plus bas, c’est-à-dire au niveau moyen, elle est absolument nulle, je veux dire : elle n’est qu’une récréation tout à fait vaine.

A la place de l’enseignement impressionniste, — si l’on peut parler ainsi, et vous voyez combien la chose est fausse puisque le mot même qui l’exprime est comme chargé d’impropriété, — que faut-il donc ? Il faut l’enseignement scientifique, c’est-à-dire l’enseignement : 1° qui sait quelque chose ; 2° qui est méthodique.

Il faut d’abord que le professeur ait une très vaste et très solide érudition. Pour la donner ? Non, pas du tout, ou très peu ; mais pour comprendre au lieu de sentir, et par conséquent pour donner à son auditoire, non une manifestation de sa sensibilité, chose incommunicable ou très superficiellement communicable, mais une conclusion de son intelligence, chose qui peut entrer dans le domaine commun. Il faut savoir énormément pour comprendre, et même à demi, n’importe quoi. Il faut savoir, par, exemple, toute la littérature latine pour comprendre ce que veut dire tel vers de Boileau. Il faut savoir tous les tragiques grecs pour comprendre ce que Racine a voulu mettre dans tel vers, et donc, pour savoir, non pas comme vous le comprenez, ce qui n’est rien, mais comme il le comprenait, ce qui est tout. Il faut, — il faudrait, hélas ! — connaître toute la petite, toute la basse, toute l’absurde littérature du temps de Voltaire et de Rousseau, pour comprendre telle phrase, ou de leur correspondance, ou même de leurs œuvres didactiques, qui étonne, qui embarrasse, qu’on sent très bien qu’on n’entend point et qui est une allusion, volontaire ou inconsciente, et de réprobation ou d’adhésion, à quelque chose qu’ils ont lu et qu’avaient lu leurs contemporains.

Taine plongeait les hommes de génie dans leur « milieu » pour expliquer l’éclosion du génie. Nul doute qu’il n’eût tort ; car c’est l’éclosion du génie que rien n’expliquera jamais ; mais les pratiques et les démarches du génie, mais tout son détail, ce n’est que par le « milieu » qu’on y comprend quelque chose ; et partant, il faut le connaître ; il faudrait le connaître tout entier, y compris les conversations de l’homme de génie avec son entourage ; tout au moins, il faut le connaître autant que possible et jamais, simplement pour comprendre, on ne le connaîtra assez.

Tenez : Corneille est un génie prodigieux, je ne songe pas