Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/302

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

modifie de telle ou telle manière par un texte, devant cent personnes ? Il y a stimulation du goût, certes, éducation du goût, je ne sais. Le goût du reste s’élève-t-il ? Je ne crois pas. Cet homme vous a montré le sien et éveillé le vôtre ; a-t-il formé ce dernier ? En quoi ? Pourquoi ? Il l’a empêché de dormir. Voilà tout. J’accorde que c’est quelque chose ; mais je dis : voilà tout.

Notez les périls. Cet impressionniste, qui ne fait, à propos de ce qu’il lit, que trouver le fond de sa façon de sentir, le fond de sa sensibilité, le reconnaître et vous le révéler ; il en vient forcément, toujours excité lui-même par son procédé, à vous faire toutes les confidences de son âme, et à ne jamais faire autre chose. J’ai connu, dans mon adolescence, un professeur distingué, spirituel, qui même avait un peu de talent, qui, dans sa classe et dans ses livres, ne pouvait qu’exposer ses idées philosophiques, religieuses et politiques.

— Il était borné ; au moins il était étroit.

— Mais non, il était impressionniste et il faisait l’éducation du goût. Et si, de l’avis assez général, il y a un modèle à ne pas suivre, n’est-ce pas que c’est celui-ci ?

— Mais si l’on a affaire à un homme supérieur, peut-il, après tout, y avoir rien, non seulement de plus intéressant, mais de plus profitable que précisément la rencontre d’un grand esprit des siècles passés avec un grand esprit du temps qui est le nôtre et que la pensée de celui-ci, excitée, piquée, éperonnée par la pensée de celui-là et se manifestant dans l’état même où la met ce commerce ou ce conflit ?

— Nous voilà au point. Rien n’est plus fécondant que la critique impressionniste, que l’enseignement impressionniste, à la simple condition qu’ils soient pratiqués par un homme de génie. Oui, Chateaubriand faisant le Génie du Christianisme en cours de faculté ; oui, Sainte-Beuve (qui, du reste était savant, mais abstraction faite de son information, et prenons-le en 1830) faisant ses études sur Ronsard en cours de faculté, ce ne serait pas un enseignement, à proprement parler, mais ce serait, comme par la force même des choses, une culture profonde et de tout premier ordre et de très grands et très bons effets. Seulement, à ce genre de culture, il y faut un Chateaubriand ou un Sainte-Beuve et dès que l’on n’a ni un Sainte-Beuve ni un Chateaubriand, dès que l’on a un La Harpe ou un Saint-Marc Girardin, hommes d’esprit pourtant, ce genre de culture est très