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quelque chose, quelque chose de palpable, de solide et de précis, et non pas, en commentant des textes, faire admirer ce qui est beau, mépriser ce qui est médiocre, détester ce qui est faux, et ce qui est laid.

— Pourquoi non ? Parce que ce dernier exercice est de l’impressionnisme, comme on disait, en usant d’un néologisme excellent il y a vingt ans, c’est-à-dire de la pure et simple fantaisie, ou, si vous préférez, de la pure et simple personnalité, c’est-à-dire tout le contraire de la science. Le professeur ou le critique, qui, lisant une page de Bossuet ou d’Hugo, met en relief ce qu’il trouve être les beautés, ce qu’il trouve être les défaillances, ce qu’il trouve être les absurdités, en donnant les raisons qu’il a de trouver ceci sublime, ceci faible et cela absurde ; mais songez donc à ce qu’il fait ! Il se laisse impressionner, comme une plaque sensible, par une lecture ; puis il analyse ses impressions et se demande pourquoi il les éprouve, et le résultat de ce double travail, — travail passif, travail actif, — il le donne à ses auditeurs.

Qu’a-t-il fait ? Il s’est donné lui-même et rien de plus. Lui, affecté de telle et telle façon par une lecture ; lui, ayant passé par tel chemin ; lui, ayant vu tel paysage ; lui tel qu’il est pour avoir reçu ces impressions ; c’est ce qu’il livre à ses auditeurs ou lecteurs. Cet homme est un homme qui publie ses impressions de voyage. Quelle utilité pouvez-vous bien voir à cela ?

— Cela peut être infiniment intéressant et par conséquent très utile.

— Très intéressant, non seulement je crois que ce l’est quelquefois, mais j’estime que ce l’est toujours, d’une façon ou d’une autre. Très utile, c’est beaucoup plus discutable. Remarquez que non seulement ce n’est pas un enseignement ; mais que ce n’est même pas une éducation. C’est une excitation et une excitation très forte. En sortant d’une leçon d’un de ces professeurs-là, l’élève est entraîné ou heurté et il revient à la page commentée avec un frémissement intérieur, soit pour pousser dans le sens du professeur, soit pour pousser dans le sens contraire. Son goût, sa logique, son intelligence sont en émoi et prêts à agir, en train d’agir. Les professeurs qui procèdent ainsi et qui disent : « Je fais penser » ont raison ; mais quand ils disent : « Je fais l’éducation du goût, » il me semble qu’ils s’aventurent. Quelle éducation du goût y a-t-il en ceci qu’un homme pense devant cent personnes, qu’un homme est excité de telle ou telle manière