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physique ou à la chimie. Et il semble que ce soit là, en effet, ce que, communément, on entend par la morale. Prise en elle-même, elle n’est autre chose que le résumé des règles, conscientes ou inconscientes, qui président aux lois et coutumes d’une société donnée, aux jugemens des individus sur les autres et sur eux-mêmes, à la recherche du bien dans les actions extérieures et dans les intentions de la conscience.

Mais, si elle est possible en fait, la détermination des principes de la morale, indépendamment de toute supposition métaphysique ou religieuse, est-elle également possible et légitime en droit ? Qu’est-ce, au juste, que cette observation et cette induction, par lesquelles on dégage et réduit en système les notions morales communes ?

Dans les sciences positives on ne se pose guère ce genre de questions qu’à un point de vue purement technique : on recherche les conditions pratiques d’une observation aussi minutieuse et exacte que possible, d’une induction rigoureusement proportionnée aux données de l’expérience. Pourtant, dans ces sciences mêmes, il y a, en réalité, pour qui approfondit leurs conditions d’existence, des postulats d’un caractère métaphysique, dont l’adoption ou le rejet ne saurait être indifférent. Mais on est généralement d’accord au sujet de ces postulats, lesquels, en somme, consistent à admettre que tous les phénomènes de la nature sont soumis à ce qu’on appelle des lois naturelles. C’est pourquoi on n’éprouve pas le besoin, dans le travail scientifique proprement dit, de s’expliquer sur leur nature. La morale n’est pas, à cet égard, dans la même situation que les sciences physiques.

Il convient, semble-t-il, de faire une distinction entre principe et fondement. Le principe proprement dit, c’est la proposition générale et abstraite d’où se peut déduire syllogistiquement la multiplicité des propositions particulières données par l’expérience. Le fondement, c’est la réalité concrète qui fait exister les phénomènes. Or les sciences positives paraissent avoir suffisamment résolu, à leur point de vue, la question du fondement pour s’en débarrasser dans la pratique : leurs postulats sont devenus, en quelque sorte, des formes de la pensée, des habitudes organiques. Peut-on dire qu’en morale il en soit de même ?

L’observation et l’induction, comme méthode de la morale,