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question qu’on s’est posée a été de savoir à quoi ils pourront être employés en temps de guerre. Par une singulière ironie des choses, ce sont quelques-uns de nos pacifistes les plus renforcés qui se sont le plus passionnément occupés des aéroplanes, et, le jour même où l’instrument qui venait d’être inventé a fait ses premiers essais, tout le monde l’a considéré comme une arme et s’est demandé quels en seraient l’usage et la portée. Cela prouve évidemment que, quelque pacifiques que nous soyons, et la France ne l’a jamais été davantage, le sentiment de la guerre possible est toujours resté dans notre conscience comme une des fatalités de la condition humaine. Avons-nous besoin de dire que ce sentiment ne nous est pas particulier ? Si nous ne L’avions pas eu spontanément, l’exemple d’autrui nous l’aurait impérieusement inculqué. Dieu sait le bruit que les Allemands ont fait avec leurs dirigeables, et de quels hymnes tout militaires ils en ont accompagné les moindres mouvemens ! Il nous était impossible de ne pas les entendre, mais nous n’en avons été nullement offusqués. Sachant très bien que l’homme est un animal naturellement guerrier, nous n’avons pas été surpris de la joie patriotique que les Allemands ont témoignée autour de leurs dirigeables, et qui a survécu à quelques déceptions. Ils ne nous ont pas rendu la pareille : autrement, nous aurions pu nous demander nous-mêmes si quelques articles de journaux français, — un très petit nombre d’articles et de journaux, — n’avaient pas manqué de mesure et de tact dans les manifestations de leur enthousiasme. Quel que soit l’avenir encore ignoré des aéroplanes, il aurait été de meilleur ton de n’en pas parler déjà comme d’un infaillible instrument de revanche. Mais, en vérité, après le déchaînement d’opinion qui s’est produit en Allemagne à ce sujet, nous n’avons nul goût à dire un seul mot qui pourrait être interprété comme une désapprobation même la plus légère. Croirait-on qu’un journal, La Poste de Strasbourg, a conseillé d’abattre à coups de fusil nos aviateurs s’ils franchissaient d’une ligne une frontière difficile à tracer exactement dans l’air ? Il paraît qu’un d’eux, Legagneux a poussé son vol jusque sur le territoire allemand. Peut-être aurait-il mieux fait de s’en abstenir, mais qu’a-t-il fait là de si coupable ? Est-ce qu’il n’arrive pas, et même assez souvent, aux aéronautes allemands d’atterrir sur le territoire français ? Est-ce que les Anglais ont songé à recevoir Blériot à coups de feu lorsqu’il est descendu sur le rivage britannique après avoir traversé la Manche ? Est-ce qu’un aviateur allemand n’était pas, au début, parmi les concurrens du circuit de l’Est ? Non seulement il y avait été admis avec une parfaite courtoisie,