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Revenons à M. Combes. Sa lettre à ses électeurs, le lendemain de sa réélection au conseil général de la Charente-Inférieure, a été le premier coup de clairon dans la campagne dont nous venons de voir les suites. M. Combes n’était pas content. Réélu, il l’était sans doute, mais à une majorité amoindrie ; il avait pu mesurer le terrain perdu dans son canton depuis sa dernière élection ; il avait senti le vent de la défaite passer assez près de sa tête grise ; de là sa mauvaise humeur. Surpris et irrité, il a dénoncé tout de suite la corruption dont il avait failli être victime, et annoncé que, dès la reprise de ses travaux, il proposerait au Sénat de remettre à son ordre du jour le projet de loi qui a pour objet de la réprimer. Ici encore nous dirons : tant mieux ! mais à la condition qu’on trouve le moyen d’atteindre la corruption sous toutes ses formes, sans en excepter la pire de toutes, qui est la forme administrative. Quand un candidat indépendant corrompt ou essaie de corrompre les électeurs, il commet un acte répréhensible, coupable, criminel même si l’on veut, mais, en somme, il n’y emploie que ses propres ressources et son porte-monnaie est le seul à en souffrir. Que dire d’une corruption qui se pratique avec les ressources du budget, c’est-à-dire de tout le monde, et à laquelle chacun contribue de son argent, sans même en excepter le candidat contre lequel elle s’exerce ? Aucune autre ne pénètre plus profondément dans le pays et n’y introduit un virus plus malfaisant. Voilà le mal dont nous souffrons le plus, et quel homme en a la principale responsabilité, sinon M. Combes lui-même ? Oui, M. Combes a été le grand corrupteur de ce pays, et, par une ironie dont il ne sent pas la pointe, c’est lui qui se plaint le plus haut ! Quis tulerit Gracchos, disait-on autrefois, de seditione quærentes ? Il sera plaisant d’entendre M. Combes s’indigner contre la corruption. Peut-être, nous n’en savons rien, a-t-elle été pratiquée contre lui, mais il l’a pratiquée contre des milliers d’autres avec un bien qui ne lui appartenait pas, et en cela il a fait école. En veut-on un exemple ? M. Milliard, qui a perdu son siège au conseil général de l’Eure, a écrit, lui aussi, une lettre de remerciement aux nombreux électeurs qui lui étaient restés fidèles et il leur devait, en effet, quelque reconnaissance, car ils avaient eu du mérite à ne pas l’abandonner. « Je tiens, leur dit-il, à enregistrer d’abord l’attitude de l’administration qui a mis, non seulement au cours de la campagne électorale, mais depuis six ans, toutes les forces administratives au service de mon concurrent. C’est elle qui a levé ses dernières hésitations. Il est donc en France au moins une préfecture où ne sont