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à être terriblement lassé. Ils représentent une force en voie de décroissance, mais avec laquelle on compte encore sur le terrain, parlementaire. Peut-être cependant pourrait-on s’en passer ; les radicaux-socialistes ne sont plus aussi sûrs qu’autrefois d’être indispensables ; enfin ils sont divisés ; de là le « trouble » qu’ils éprouvent et dont M. Chamerlat parle avec émotion. Que faire en pareil cas ? Menacer, et M. Chamerlat menace ; il espère faire peur. Y réussira-t-il ? Quoi qu’il en soit, nous comprenons ses sentimens. Ses amis et lui sont le produit des abus d’un régime. Le jour où prendraient lin la pression et la corruption éhontées que l’administration exerce sur le corps électoral, leur sort serait réglé ; il n’en reviendrait pas à la Chambre cinq sur vingt ; nous connaissons des départemens où il n’en reviendrait pas un seul. Aussi M. Briand, qui parle de supprimer ces abus, apparaît-il à leurs yeux comme le pire ennemi. Heureusement, les préfets et les sous-préfets sont là, et c’est vers ces sauveteurs brevetés et dévoués que les radicaux-socialistes tournent des yeux éperdus. Ils continuent, en effet, de s’inspirer du pur esprit de M. Combes. M. Briand parle et ils agissent ; mais c’est trop pour les radicaux que M. Briand parle. Il faut, comme les autres, qu’il obéisse et qu’il serve.

Ce qui s’est passé au conseil général du Rhône n’est pas moins significatif. Là, un socialiste unifié, M. Montet, a déposé l’ordre du jour suivant : « Considérant que les déclarations de M. le président du Conseil des ministres concernant la politique générale du gouvernement ont permis à tous les candidats des partis de réaction de s’en réclamer sans qu’aucun désaveu soit intervenu, proteste contre une politique qui, sous l’équivoque d’un apaisement trompeur, sert exclusivement les intérêts des adversaires de la république laïque, démocratique et sociale. » La motion de M. Montet ressemble singulièrement au discours de M. Chamerlat ; motion et discours viennent d’une même inspiration. Le Rhône est administré par un préfet qui s’est fait une notoriété particulière par le cynisme avec lequel il a pratiqué la candidature officielle ; il pourrait rendre des points à tous les autres ; les préfets de l’Empire, — nous parlons de ceux qui sont restés légendaires, — étaient des innocens à côté de lui. Qu’a fait M. Lutaud en présence de la motion de M. Montet ? Il l’a blâmée pour la forme et ne pouvait pas faire autrement : il a même proposé contre elle la question préalable ; mais il a été battu ; la motion a été votée par 15 voix, — celles de ses amis et de ses créatures, — contre 10, et il s’est retiré sans faire claquer la porte : à quoi bon, puisqu’il devait l’entrer un moment après ?