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architectures, van Kessel les oiseaux multicolores étalés en chapelet sur le sol, Jean Breughel les animaux et le beau parc bleuâtre du fond, Rubens les figures. Et, dans cette petite œuvre de joaillerie picturale, le chef de l’école est si brillant, si délicat, si parfaitement en accord avec l’art de son ami Breughel, qu’il se fait presque une autre personnalité et cesse d’être Pierre-Paul Rubens pour devenir Pierre-Paul de Velours.

En quittant l’exposition, le visiteur doit s’arrêter devant les grandes tapisseries de l’Histoire de Constantin tendues dans le hall d’honneur et gracieusement prêtées par le Mobilier national de France. Il se sentira brusquement ressaisi et emporté par le grand lyrisme rubénien. Tissées de laine et de soie, rehaussées d’or, ces huit pièces ont été fabriquées à la manufacture de la Planche, d’après des cartons de Rubens. Bien qu’aucune de ces compositions ne vaille les cartons célèbres de l’Histoire de Decius Mus ou du Triomphe d’Henri IV, elles sont de la plus mâle et de la plus impressionnante beauté. Elles rappellent non seulement le rôle actif de Rubens dans la renaissance de cette industrie flamande entre toutes, la tapisserie ; elles redisent aussi l’ampleur de son génie décoratif, son érudition sans limite, sa connaissance de l’antiquité si hautement prisée par le plus grand antiquaire du temps, Peiresc. Aucun moderne n’a ressuscité plus entièrement Rome et les Romains dans ses œuvres, et c’est au point que cette vision de Rubens, adoptée par la Cour de Louis XIV, est, à bien peu de chose près, celle-là même dont vivent encore nos esprits. La culture classique des trois derniers siècles doit quelques-unes de ses assises à l’interprète génial du néo-catholicisme, au plus lyrique et au plus romantique des peintres septentrionaux. Avec un tel fils, la race flamande se plaçait à jamais au premier rang des grandes familles humaines.


FIERENS-GEVAERT.