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du XVIe siècle : têtes idéalisées, larges draperies à l’antique, absence complète de tout caractère local, tons criards et froids. Tel était le résultat d’un siècle de pénétration italienne. Michel-Ange avait bouleversé les cervelles septentrionales. On se transmettait sans aucun doute dans nos ateliers les propos du maître « piu che mortale, » notés par Francesco da Olanda. On ne voulait pas que la peinture flamande continuât de plaire uniquement « aux femmes, aux vieillards et aux enfans. » On aspirait à cette perfection idéale « par laquelle on se rapproche de Dieu et on s’unit à lui. » Et les bons Flamands devaient méditer ce langage platonicien : « Oui, la bonne peinture n’est autre chose qu’une copie des perfections divines, une ombre de son pinceau, une musique, une mélodie, si bien que seule une très vive intelligence peut en comprendre la difficulté. » Si intelligent et si attentif qu’il fût, Otto Vœnius pastichait en provincial ses maîtres romains, — des disciples maniéristes de Michel-Ange, — et ne perdait point sa froideur, même quand il avait recours, comme dans sa Charité de saint Nicolas, aux violens effets de lumière artificielle enseignés par le Tintoretto. Venise pourtant lui fut plus propice que Rome. Otto Vœnius et sa famille est à rapprocher des bons portraits de Martin de Vos, le meilleur élève flamand du peintre de San Rocco ; les tons aigres, vineux ou noirâtres font place à des harmonies presque délicates où les types vivent avec des expressions individuelles.

Au témoignage d’un neveu de Rubens, les œuvres que Pierre-Paul peignit avant son départ pour l’Italie avaient de grandes ressemblances avec celles de Vœnius. L’enseignement de ce dernier avait sans doute imprégné le jeune artiste de l’amour du coloris vénitien et du respect des doctrines romaines. Arrivé à Venise, Rubens fut tout de suite conquis par le Titien ; il le fut même pour la vie. Suttermans n’a-t-il pas dit : « Il enferma le Titien dans son cœur, comme une dame y enferme l’élu de ses pensées ? » François Pourbus, que Rubens doublait à la cour de Mantoue, ne devait point détourner son jeune compatriote de cette passion. L’exposition nous fait connaître ce Pourbus, non par la rigide image de Dorothée de Croy qu’envoie le musée de Valenciennes, ni par le tableau, charmant d’ailleurs, exécuté avec la collaboration de Francken II : le Bal des Archiducs (Mauritshuis) dans lequel il peignit froidement et