le genre humain ; et au fort de la tempête révolutionnaire, Bernardin composa les Harmonies de la Nature, dans lesquelles il y a encore un peu plus de lumière, de parfum, un peu plus d’enthousiasme et de candeur ; et, dès les premières pages, il y consigne une importante découverte dont il est fier, à savoir : que le soleil est une grande masse d’or en fusion, et il semble en conclure que le soleil étant d’or, l’âge d’or est promis par le ciel au genre humain, et qu’aussitôt l’éducation naturelle mise en vigueur, cet âge d’or répandra sur l’humanité des délices et des félicités indicibles. Cela ne prouve-t-il pas qu’on peut guérir de la lièvre tierce et de la fièvre quarte, mais qu’on ne saurait guérir de cette fièvre particulière qui s’appelle une utopie ?
Et maintenant que la critique a tout dit, je souhaite que la fantaisie vienne aux lecteurs de rouvrir le roman de Paul et Virginie, et d’y relire, entre autres pages, le récit de cette tempête où périt Virginie. Ils croiront revoir, ils reverront cette lune entourée de trois cercles noirs, cette vaste nappe d’écumes blanches, creusée de vagues profondes dont les flocons blancs et innombrables ressemblaient à une neige qui sortait de la mer ; ces nuages d’une forme horrible, qui traversaient le zénith avec la vitesse des oiseaux, tandis que d’autres y paraissaient immobiles comme de grands rochers, et cette lueur olivâtre et blafarde qui éclairait seule tous les objets de la terre, de la mer et des cieux. Et alors saisis, émus, ravis, ils s’écrieront, après Napoléon qui s’y connaissait : « La plume de Bernardin est un pinceau. »
Que son Elysée et son soleil d’or lui soient pardonnés !
VICTOR CHERBULIEZ.