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MORALE ET RELIGION

Parmi les idées générales, plus ou moins distinctement aperçues, qui déterminent actuellement les jugemens des hommes, et qui provoquent entre eux d’âpres disputes, il en est peu d’aussi importantes que celles qui concernent les rapports de la morale et de la religion. Que signifient nombre de dissentimens sur la liberté, la société, la famille, l’école, le droit, le devoir, le sens de la vie, sinon que les uns trouvent, dans la nature et dans la raison humaine pure et simple, toutes les conditions nécessaires et suffisantes de la pensée et de l’action, tandis que les autres persistent à croire que l’homme ne se suffit pas, mais doit, pour accomplir sa destinée, s’appuyer sur quelque principe qui le dépasse ? Et, certes, ce conflit existe depuis longtemps. « De quelle vertu Jupiter est-il doué, disait Chrysippe le stoïcien, que, par lui-même, Dion ne se soit donnée ! » Mais peut-être les deux principes n’ont-ils jamais paru aussi irréconciliables qu’aujourd’hui.

Une évolution s’est accomplie, semble-t-il, à ce sujet, durant les derniers siècles. Au temps des Descartes et des Leibnitz, la morale et la religion s’accordaient naturellement, comme deux émanations d’une source commune. Il entrait dans le plan divin que l’homme fit, selon sa raison, son métier d’homme, en même temps que, soulevé par une assistance surnaturelle, il tendait à une perfection supérieure. Mais à l’époque du romantisme, de la course aux extrêmes, des contrastes et des antinomies, le lien parut se rompre, qui unissait la raison à la foi, la vie