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de l’ébranlement funeste dont quelques-unes de ses institutions ont été à ce moment l’objet. Il en est une du moins qui était restée au-dessus de toute atteinte, à savoir la préfecture de police, ou plus simplement la police : c’est elle que M. Jaurès a visée cette fois, et on comprend son intérêt à en faire une ruine. Heureusement il a rencontré devant lui M. Lépine qui n’est pas un simple officier d’état-major, et les choses ont tourné autrement qu’il ne l’espérait. Dieu nous garde d’écrire un mot qui pourrait désobliger nos officiers ; mais enfin ils vivent dans un milieu spécial et restreint où, tout entiers à leur affaire, certaines autres leur échappent. Il n’en est pas de même de la police qui, comme l’a dit M. Lépine, a l’œil partout. Son défaut n’est pas l’ingénuité, qui serait chez elle le pire de tous. Elle ne s’en laisse pas facilement imposer. L’éloquence même de M. Jaurès ne la trouble pas, et la déposition de M. Lépine en est la preuve. M. Lépine est allé droit au seul fait qui, à nos yeux, ait de l’importance. Il a avoué, ou plutôt déclaré qu’il avait, comme on le disait, cherché un plaignant contre Rochette, mais il s’est demandé si l’acte accompli par lui était légal et utile, et a cette double question il a répondu affirmativement. Comme, depuis ce moment, Rochette a été condamné à deux ans de prison pour escroquerie, il est difficile de contester plus longtemps l’utilité de l’instruction ouverte contre lui. Ses entreprises audacieuses étaient une menace pour la petite épargne ; tout le monde le savait, tout le monde le disait ; cependant le parquet n’osait pas agir à défaut d’une plainte qu’il jugeait pour cela indispensable. L’était-elle en effet ? Nous ne traiterons pas aujourd’hui la question. La situation était la suivante : un aventurier mettait en péril la fortune publique ; le parquet se déclarait paralysé parce qu’il n’y avait pas de plainte ; la préfecture de police a fait naître la plainte, et l’aventurier a été condamné. Le reste est accessoire.

Accessoire ! dira-t-on ; et nous voyons déjà les figures épouvantées de ceux que la prétendue toute-puissance de la préfecture de police remplit de terreur. On a beaucoup parlé, dans cette affaire, de l’article 10 du code d’instruction criminelle qui donne au préfet de police, et même aux autres préfets, des pouvoirs exorbitans ; c’est le legs d’un autre âge. Qu’il faille le supprimer ou le modifier, tout le monde en est d’accord et si la commission d’enquête en provoque l’abrogation plus rapide, tout le monde y applaudira. Elle aura eu la gloire d’enfoncer une porte ouverte : c’est une gloire qui n’est pas toujours à dédaigner. Il ne faut pourtant pas exagérer l’importance lu service qu’elle aura rendu. On donne le change à l’opinion en par-