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l’égard de la grande figure du prince de Bismarck. Une telle façon de n’apprécier la personne et la carrière de Waldersee qu’à la lumière des rapports du maréchal avec le chancelier n’est pas, nous le sentons bien, un simple parti pris de polémiste. C’est avec une parfaite sincérité, et peut-être même involontairement, que M. Harden s’est accoutumé à placer l’ombre de Bismarck au centre de son univers, approuvant ou blâmant tous les personnages dont il s’occupe non seulement d’après leur attitude historique envers son héros, mais parfois même d’après le plus ou moins de sympathie qu’il suppose que le héros, s’il les avait connus, aurait eue pour eux. Ce révolutionnaire de race s’est fait, ainsi, une âme toute « bismarckienne ; » et son accent, d’ordinaire étrangement dur et froid, se réchauffe tout à coup avec des inflexions presque tendres aussitôt que l’image vénérée de Bismarck se dresse devant lui. Jusqu’à la fin de son article sur Waldersee, cette image se maintient et trône au premier plan. L’auteur semble éprouver une joie féroce à insister sur les innombrables déboires de l’homme qui, un jour, avait osé rêver de se substituer au grand chancelier ! De nouveau, il nous montre l’infortuné Waldersee s’exposant, par son bavardage, à la disgrâce de l’Empereur. « Waldersee, Verdy, Stœcker, tous les ennemis de Bismarck, — s’écrie-t-il, — ils sont tous tombés ! » Et puis il accuse le maréchal d’avoir, jusque dans sa retraite, commis encore toute sorte d’indiscrétions et de médisances « contre Caprivi, Hohenlohe, Bronsart, et même… » Qui n’admirerait la cruauté de cette réticence finale, achevant l’oraison funèbre de l’homme qui, naguère, « avait passé pour être seul à exercer une influence réelle sur le jeune empereur ? »


L’étude consacrée à l’Impératrice Frédéric est d’un tout autre ton. Avec une gravité recueillie et mélancolique, M. Harden compare la destinée de cette princesse à celle de la touchante héroïne des Niebelungen du poète Hebbel, Chriemhielde, « mariée seulement avec une pensée, avec un désir dont la réalisation ne cesse point de lui échapper. » Et le biographe nous montre la jeune Anglaise arrivant avec son mari dans un royaume qui lui parait à demi barbare, et, tout de suite, formant le projet de « civiliser » la Prusse, c’est-à-dire d’y introduire la vie politique et les mœurs de l’Angleterre. « Aussi est-elle toujours restée pour le peuple « l’Anglaise, » comme jadis Marie-Antoinette avait été l’ « Autrichienne » pour ses sujets de France. » A travers toutes les transformations presque ininterrompues de la Prusse, entre 864 et 1870, obstinément elle a continué à se sentir étrangère parmi