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moyens, il promet le mariage. Un individu, arrivé à Londres sur la demande du Comité allemand, faisant conduire dans l’Amérique du Sud trois jeunes filles, avait promis à chacune d’elles de les épouser à l’arrivée. Certains n’hésitent même pas devant le mariage, si c’est le seul moyen d’arracher la fille à son pays. Une fois arrivée, commence pour la malheureuse l’odieux martyre. Livrée à la maison qui l’attend, que peut-elle faire ? Abandonnée, accablée par la découverte de l’infâme trahison, ignorant jusqu’à la langue du pays, surveillée d’ailleurs, enfermée souvent, le désespoir, le sentiment de sa complète impuissance et, s’il le faut, les privations et la violence ont, un jour ou l’autre, raison de sa résistance. Alors, à moins du hasard de la visite dans la maison de quelque libertin en qui toute sensibilité n’est pas encore éteinte et qui, devant des larmes sincères, s’émeut, questionne et s’indigne, c’en est fait de sa vie, pour toujours.

Telle est l’atroce réalité qui, sans une entente internationale, n’eût jamais pu être atteinte.

Je ne terminerai pas sans parler de la participation de la France à l’action commune.

Plus qu’aucune autre nation, elle devait s’y intéresser. C’est, en effet, une douloureuse vérité. La Française si réputée partout par sa grâce, sa bonne humeur, son esprit, est haut cotée sur le marché de la Traite. C’est elle qui rapporte les plus hauts profits. Elle se paye, a dit un Américain, le double, le triple, parfois plus. La France est donc plus exposée qu’aucun autre pays aux entreprises des Traitans. On y a, comme ailleurs, découvert de véritables associations, témoin cette abominable affaire de Verneuil où toute une bande amenait, il y a deux ans, dans une auberge de campagne, loin des atteintes de la police parisienne, des femmes recrutées de partout, pour les façonner, avant de les expédier au loin ; témoin encore la capture, vers le même temps, à Cherbourg, de deux agens, munis de sommes importantes, en correspondance avec des complices étrangers, sur le point de s’embarquer avec des malheureuses trompées par leurs fausses promesses, et encore l’arrestation dans un hôtel de Paris de deux autres misérables prêts à partir avec trois jeunes filles, dans les mêmes conditions. Combien, en outre, de cas d’embauchage isolés pour des maisons de débauche publiques ou clandestines, en France même ? Il fallait agir énergiquement. C’est ce qu’on a fait.