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l’élan hardi des combles triangulaires accusant franchement l’ossature intérieure ? Comment ne pas reconnaître dans cette façade, unie et calme, avec la seule baie, ample et cintrée, de sa porte centrale, sans voussures, sans sculptures, sous le haut rayonnement d’une immense rose, l’imposante, la rude et austère majesté de l’architecture romane ? Comment, d’autre part, n’être point inquiet devant l’apparente fragilité du fronton découpé à vif et tranchant sur le ciel clair comme la pointe d’une aigrette en carton sec et mince ? Ne dirait-on pas déjà un de ces décors plaqués, sans lien avec l’édifice, qui pourront, en Italie, longtemps manquer aux églises inachevées sans qu’elles en semblent trop souffrir ? Et cet énorme clocher, non plus sans doute absolument isolé, ni aussi disproportionné et disgracieux par sa lourdeur et sa hauteur qu’on en voit ailleurs, avec quelle peine il s’est accolé au flanc de la bâtisse, sans se décider à s’y incorporer ! Toutes ces différences, en vérité, sont bien faites pour nous déclarer que nous ne sommes point en l’Ile-de-France et ne sommes même plus en Bourgogne.

Cependant, l’introduction, à l’intérieur, d’une ornementation sculptée et peinte plus abondante et plus variée soulevait d’incessantes protestations chez les zelanti, fidèles observateurs des doctrines de leur maître. Dès qu’ils sont représentés, au généralat, par l’un des leurs, des mesures sont vite prises pour rappeler les constructeurs et décorateurs à plus de simplicité. En 1260, saint Bonaventure, lui-même, doit faire édicter par le concile de Narbonne des statuts conformes aux principes cisterciens, en termes fort rigoureux : « Les églises ne doivent être voûtées qu’au-dessus du maître-autel et par autorisation spéciale. Elles ne doivent pas être transformées en objets de curiosité par l’ampleur des dimensions, l’abondance des sculptures, l’éclat des peintures. Il ne devra y avoir d’autres verrières peintes qu’à la fenêtre principale, derrière l’abside, avec les seules images du Christ en croix, de la Vierge, de saint François et de saint Antoine. Aucun tableau de prix sur les autels, ni ailleurs, et s’il y en a déjà, que les visiteurs provinciaux les fassent enlever. Aucune pièce d’orfèvrerie en or ou argent, si ce n’est le crucifix contenant les reliques, l’ostensoir et le calice, d’un travail simple, d’un poids ne dépassant pas 2 marcs et demi. » Tous les contrevenans à cette ordonnance rigoureuse devaient être sévèrement punis, au moins par le changement de résidence.