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mandataire du Pape, des terrains sur la Colline d’Enfer (lieu de supplices) pour y construire « un oratoire ou une église sur le tombeau du bienheureux corps de saint François, » avait dû exiger d’assez longues négociations et la préparation d’un plan général ; or, les signatures sont données en avril. Cette année même et les années suivantes, d’autres actes, donations, contrats divers, achats de matériaux, bulles pontificales, témoignent d’une activité fiévreuse dans les travaux. L’affaire fut si bien menée que la translation solennelle des restes du Saint dans la nouvelle basilique put être célébrée le 25 mai 1230. Cette fête, bruyamment annoncée, ne s’acheva point sans troubles. Des hommes d’armes se jetèrent, tout à coup, au milieu de la procession, s’emparèrent du cercueil, et le transportèrent en hâte dans l’église dont les portes furent aussitôt fermées devant la foule tumultueuse et furieuse. Une tranchée ouverte dans le sol reçut le cercueil ; dès qu’il y fut descendu, on combla la fosse, dont les traces furent si soigneusement cachées qu’on ignora durant six siècles l’endroit exact où reposait le Saint. C’est en 1818 seulement, nous l’avons dit, que de nouvelles fouilles firent découvrir la châsse encastrée dans la roche, sous le maître-autel. C’est en 1824 que fut construite la crypte actuelle, qui la renferme. Cette scène scandaleuse avait été organisée par le podestat et la commune d’Assise. Fut-ce avec l’assentiment de Frère Elie ? Il semble, d’après quelques autres témoignages, que celui-ci, par plus de prudence encore, avait déjà fait transporter le corps secrètement, de nuit, deux ou trois jours avant la cérémonie officielle.

Pourquoi cet acte de violence, pourquoi cet enlèvement clandestin ? Suivant quelques-uns, l’astucieux et défiant Elie aurait voulu éviter un examen public des stigmates miraculeux. Suivant d’autres, c’était, de sa part, une vengeance vis-à-vis de Frère Parenti, ministre général élu à sa place et contre lui. Les deux suppositions ne sont guère vraisemblables. D’une part, les plaies de François, quelle qu’en fût l’origine, avaient été constatées par plusieurs témoins, et le cadavre, enseveli depuis plus de deux ans, ne pouvait être exposé aux yeux de la foule. D’autre part, pour un homme qui recherchait la popularité, ce désordre scandaleux jeté dans la solennité d’une fête, locale et patriotique, depuis longtemps attendue, pour la tourner en une scène de brigandage et d’émeute sanglante, n’était guère un moyen