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« L’air est plein d’une haleine de roses, » n’a jamais peint la nature. Voilà qui est étrange, ou tout au moins qui n’est pas fait pour rendre très clair le passage de La Bruyère.

Entendez si vous voulez, — et je reconnais que ce n’est qu’un expédient, — que, dans ce qui concerne Malherbe, La Bruyère prend « nature » dans le sens très large, nature étant tout ce que le poète a devant lui, homme, passions, événemens (nature est pris dans ce sens très souvent au XVIIe siècle : « Que la nature donc soit votre étude unique. » (Boileau.) « La nature féconde en bizarres portraits. » (Id.) « Mais maintenant il ne faut pas quitter la nature d’un pas. » (La Fontaine en parlant de Molière), — et que, dans ce qui concerne Théophile, La Bruyère songe à la nature que Théophile a connue, c’est-à-dire aux paysages. Le passage alors deviendra intelligible., et il paraîtra d’une critique très sûre et très juste :

« J’ai lu Malherbe et Théophile. Ils ont tous deux connu la nature ; mais avec cette différence que le premier, d’un style plein et uniforme, montre tout à la fois ce qu’elle a de plus beau et de plus noble, de plus naïf et de plus simple. L’autre, sans choix, sans exactitude, d’une plume libre et inégale, tantôt charge ses descriptions, s’appesantit sur les détails ; il fait une anatomie ; tantôt il peint, il exagère, il passe le vrai dans la nature : il en fait le roman. » — Sauf le mot « sans exactitude, » qui est injuste, il n’y a rien que de très vrai dans cette critique en raccourci. — Reste qu’il est bien bizarre d’avoir pris le mot nature, dans deux sens si différens, quand il s’agit d’un parallèle. Je laisse à plus habile que moi l’honneur de résoudre cette difficulté.

Ensuite, Théophile fut parfaitement ignoré pendant cent trente ans environ, jusqu’à ce que Théophile Gautier le tirât de la cendre. Je ne vous dirai pas, d’abord, de qui parle Gautier dans le passage suivant de ses œuvres : « Il est difficile d’avoir un plus heureux tempérament poétique que… Il a de la passion, non seulement pour les hommes de vertu, pour les belles femmes, mais aussi pour toutes les belles choses ; il aime un beau jour, des fontaines claires, l’aspect des montagnes, l’étendue d’une grande plaine, de belles forêts, l’Océan, ses vagues, son calme, ses rivages ; il aime encore tout ce qui touche particulièrement les sens, la musique, les fleurs, les beaux habits, les beaux chevaux, les bonnes odeurs, la bonne chère ; c’est une âme