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Le poète philosophe, dans Théophile de Viau, est intéressant. Tantôt, en sa qualité de virtuose, Théophile ne fait que mettre en vers, comme dans l’Immortalité de l’âme, des idées auxquelles il ne croit aucunement ; tantôt il dit, au contraire et avec indiscrétion, ce qu’il pense et tout ce qu’il pense. L’Immortalité de l’âme est une paraphrase du Phédon en prose mêlée de vers. Il est probable que Théophile avait le projet de traduire tout le Phédon en vers, et que la longueur de l’exécution de ce dessein l’aura rebuté. Il y a de brillans morceaux, et où se trouvent les plus beaux vers classiques qui se puissent :


Et ne crois pas que je m’étonne
Pour la contrainte de partir,
Ni que je pense à divertir
Le congé que la mort me donne.
Je bénis le juge et la loi ;
Cette rigueur ne m’est, point dure
Et quiconque aura l’âme pure
Aimera la mort comme moi.


L’apothéose, précisément, des âmes pures, si l’on peut parler ainsi, trouve dans Théophile une expression nette, ferme, solide, qui fait une singulière impression sur l’esprit. C’est du Platon que les habitudes (au moins) du langage chrétien auraient rendu plus énergique, plus affirmatif et plus sûr. C’est très curieux comme facture :


L’âme dressant son vol vers la loge éternelle,
Moins il se peut trouver de pesanteur en elle,
Mieux elle a dépouillé la masse de la chair,
Plus vite elle remonte en sa première source,
Et ne peut rien trouver capable d’empêcher
Les mouvemens heureux de sa légère course.

Ainsi vivant toujours avec soi retirée,
De la contagion de son corps séparée,
Elle n’emporte rien de ses mauvaises mœurs,
Les désirs, les amours, la crainte, la folie
Et tout ce qui provient des charnelles humeurs.
Demeure dans la chair au monde ensevelie.

Pure et nette qu’elle est, ayant trouvé son port
Dans le ciel, où jamais n’a pu venir la mort,
Elle y trouve sa part de repos et de gloire ;
Elle n’a de confort que les dieux seulement,
Et, ce que tout mortel est obligé de croire,
Cette félicité dure éternellement.