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Fontanes, après quelques mois seulement de mariage : « Je lui connus du mérile et des agrémens. Elle a perdu ses agrémens, mais elle a gardé son mérite. » Mais, au lieu de commenter lourdement cet excès de modestie conjugale, que j’aime bien mieux copier cette page exquise, et trop peu connue, je le crains du poète contemporain Auguste Angellier ! Il s’agit de Burns, mais le portrait s’applique ici, trait pour trait, à Joubert :


Les sentimens qu’il avait pour sa femme étaient affectueux. Il discernait bien les mérites qu’elle avait. Il les discernait trop bien. Le trait par lequel il les enserrait était si net, si précis, qu’il servait presque autant à marquer les qualités dont elle était privée que celles qu’elle possédait, et qu’il était difficile de dire pour quel côté la ligne avait été tracée, pour ce qu’elle renfermait ou pour ce qu’elle excluait. On n’y sent pas ce tremblement et ce léger refus de la main à marquer les limites de ce qui nous est cher. Il ne laissait pas même à certains contours du caractère ce quelque chose d’indécis, ce bord flottant, dont on accorde le bénéfice à la personne aimée, où il y a place pour un acte de foi et de confiance, sans lequel un amour manque d’un élément précieux, c’est-à-dire de ce qu’il donne. Il y a là aussi, dans ce petit intervalle, une réserve pour l’admiration, une ressource contre les déceptions, un peu de mystère, de possible au-delà de ce que nous avons mesuré, qui répond à ce besoin d’illimité qu’ont les vraies affections. Cette pénombre de faveur n’existe pas dans la manière dont Burns apprécie sa femme. Il lui fait sa part d’un trait arrêté sans hésitation : voici ce qu’elle possède, voici ce qui lui manque ; elle a sa juste mesure, mais tout juste. C’est peu, et c’est beaucoup, ce simple fil tremblant autour d’un portrait. Il manque ici…


Oui, j’ai peur qu’on ne puisse dire cela de Joubert.

Il y a un point de sa biographie morale que l’on voudrait pouvoir entièrement éclaircir. Comment, à quelle époque, dans quelles circonstances, se fit pour lui le retour aux croyances traditionnelles, aux « préjugés, » comme il dit ? A-t-il, sous le coup de l’émotion que lui causa la mort de son père, cédé aux exhortations de Fontanes que nous rappelions tout à l’heure ? Et comme Chateaubriand, un peu plus tard, au moment de la mort de sa mère, a-t-il pu dire : « J’ai pleuré et j’ai cru ? » Ou bien, à son retour à Montignac, a-t-il été ressaisi par les douces influences et les vivans exemples du foyer maternel ? Ou bien encore, les excès de la Révolution ont-ils déterminé dans son esprit la réaction toute naturelle qu’ils ont provoquée chez tant d’autres contemporains ? « La Révolution, a-t-il écrit, a chassé mon esprit du monde réel en me le rendant trop horrible. » On ne sait au juste ; mais il est assez vraisemblable