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l’avance, par une phrase, par un mot, les argumens hostiles qui devaient, au jour de la discussion, s’épanouir en de longues harangues ; il escomptait qu’une plaisanterie anticipée les découragerait de se produire ; et tandis que l’orateur ennemi les portait encore en lui, Windthorst, sans respect pour cette gestation, les avait rendus ridicules, avant terme. Jamais parlementaire ne mania les ruses de la guerre avec une méthode plus inlassable, avec une plus souple vigilance.

Toujours sur la brèche aussi, et s’essoufflant toujours en quête de la victoire, Mallinckrodt, lui, pour vaincre, comptait sur le droit. Il avait une façon grandiose de prononcer ce mot : le droit, et de revendiquer ou de protester, au nom de son « sentiment du droit. » De là, chez ce Westphalien, dont la famille servait la Prusse de génération en génération, un esprit de fédéralisme, de particularisme non moins avoué, non moins exigeant que chez le Hanovrien Windthorst ; mais, tandis que le fédéralisme de Windthorst prenait racine dans ses souvenirs, dans son cœur, dans son patriotisme de Hanovrien, le fédéralisme de Mallinckrodt, qui n’avait pas été personnellement lésé, ni intimement endolori par les annexions prussiennes, reposait sur le sentiment du droit. Affirmer le droit, c’était déjà triompher, tant Mallinckrodt était persuadé, d’une émouvante foi mystique, que le droit trouverait d’infaillibles revanches. Les préparer, les réclamer, les précipiter : voilà ce qu’il considérait comme son métier, métier qui faisait de lui l’auxiliaire du Dieu de justice. Une piété profonde, chaque matin, le poussait à l’église ; et puis, il rentrait chez lui pour travailler. Préoccupé d’avoir une doctrine, il s’attachait à mûrir les thèses de politique et de sociologie que depuis dix ans, de concert avec son beau-frère Hüffer et quelques autres catholiques, il avait élaborées dans les réunions de Soest ; et puis, lorsqu’il devait parler, s’enfermant dans sa chambre avec sa science et sa conscience, il devenait non moins inaccessible qu’un Jupiter tonnant, et préparait longuement, scrupuleusement, le prochain discours. C’était sa façon, à lui, d’exercer le sacerdoce dii droit. Ainsi se déroulaient de belles pages d’éloquence, amples et graves, soutenues par une logique passionnée, et qui faisaient de lui, suivant l’expression du progressiste Richter, le premier orateur parlementaire ; une flamme superbe échauffait ses argumens et ne faisait qu’en rendre plus étincelante la rigueur ; parfois