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ministère des Cultes, et qu’apparemment c’était le ministère de la Justice qui, là-bas, réglait toutes les questions de mitoyenneté spirituelle. Mühler et sa femme, — cette Adélaïde que la presse nationale-libérale persiflait sans courtoisie, — s’attardaient à penser qu’au ministère des Cultes, il fallait encore servir Dieu ; et l’antagonisme était fatal entre ce couple piétiste et Bismarck, uniquement préoccupé de servir l’Etat.

D’autres rancunes, plus impatientes encore, s’agitaient contre Mühler, dans le parti national-libéral. Les théologiens lui savaient mauvais gré de peupler les facultés évangéliques de professeurs orthodoxes dont la correction plaisait à Mme de Mühler. Les politiques lui reprochaient d’être demeuré fidèle à l’idéal pédagogique qu’avait, au lendemain de 1850, incarné le ministre Raumer ; d’attacher, comme lui, une importance souveraine à la culture religieuse dans l’école, et de répondre avec quelque malveillance aux municipalités qui voulaient établir des écoles purement laïques, ou bien aux « libres penseurs, » qui souhaitaient que les enfans n’entendissent point parler d’un Dieu révélé. La Gazette générale d’Augsbourg, s’indignant contre l’entrée de nombreux « ultramontains » dans la Chambre prussienne, avait dénoncé ce malheur « comme étant, au moins pour la moitié, le fruit du système Mühler, » de ce « papisme protestant qui frayait les voies au papisme catholique. »

Et voici qu’en décembre 1871 paraissait, signé de lui, un projet de loi qui démentait à tous égards l’esprit général de sa politique scolaire : les nationaux-libéraux manquaient de confiance et craignaient que Mühler, au jour où il faudrait batailler pour cette nouveauté, ne fût, à bon escient, un très mauvais avocat, et qu’il ne demandât à Dieu, dans ses prières ou par les lèvres d’« Adélaïde, » la grâce d’être vaincu. Ils allaient jusqu’à dire, à l’instigation de Forckenbeck, qui présidait la Chambre : « Si le projet sur l’inspection est présenté par Mühler, nous voterons contre. » Ils aspiraient plus impérieusement au départ d’un ministre qu’au triomphe immédiat d’un principe ; et dans les premiers jours de 1872, allant trouver Bismarck, qui leur offrait une belle satisfaction pour leurs idées, ils affectèrent d’en faire fi, si, tout d’abord, il n’exauçait leurs antipathies.

L’ultimatum avait quelque insolence : après avoir engagé Bismarck sur une pente, les nationaux-libéraux menaçaient de lui fausser compagnie. Personnellement lassé de ses difficultés