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commerces locaux dont les pauvres étalages jurent avec la hauteur des fenêtres, et, quand vous demandez les noms des bourgeois qui furent là, c’est à peine si on sait vous répondre. Encore quelques années, et ces noms, qui ont rempli le petit pays de leur importance, ne seront plus prononcés, sauf par le fossoyeur, qui, pour se reposer de son travail, s’amuse à déchiffrer les inscriptions à demi effacées des pierres tumulaires.

L’abandon de la terre par la bourgeoisie est donc un fait accompli. Mais il serait plus exact de dire que c’est la terre qui a abandonné la bourgeoisie. La terre lui a fait défaut, l’a trahie en quelque sorte, lui a refusé ce que pendant si longtemps elle lui avait si fidèlement donné, des revenus, une vie facile et agréable, de l’influence, du prestige. Le phénomène est ici facile à expliquer puisqu’il se réduit à la simplicité d’un fait économique.


II

Le phénomène est tout différent chez les paysans, car la terre n’a jamais été plus généreuse pour eux qu’aujourd’hui. Il tient à des causes multiples, plus intimes ; il est plus psychologique, et, pour le bien comprendre, il faut suivre le paysan gascon dans l’évolution qu’a subie son hygiène physique et morale depuis vingt-cinq ans.

Tous les avantages économiques que les bourgeois ont perdus, les paysans les ont recueillis. Métayers et fermiers cultivent la terre à des conditions qu’ils n’avaient jamais espérées, puisqu’ils gardent pour eux une grande partie de la rente du sol qui allait autre fois à ses possesseurs. Cette terre, ils peuvent l’acquérir à des prix très bas, et la situation de ceux qui cultivent leur bien — classe nombreuse en Gascogne et qui s’accroît chaque jour — est extrêmement favorable. Les méthodes de culture se sont améliorées, les assolemens sont plus rationnels, les engrais sont largement employés, la vigne a été refaite, des cultures industrielles et maraîchères ont été introduites, l’élevage du bétail a doublé, le prix du blé se maintient, celui de la viande est élevé, une partie du pays fait une exportation considérable de fruits et de primeurs ; le paysan gascon a aujourd’hui beaucoup d’argent. Voilà un premier point qu’il faut retenir.

En voici un second. Il a perdu, il perd chaque jour le goût de l’épargne, de l’épargne acharnée qui caractérisait les