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de la bourgeoisie du fait de l’évolution générale des idées, restons dans les petites contingences du village et de la vie agricole : le prestige du bourgeois, qui ne tire presque aucun revenu de son vaste domaine, est singulièrement diminué aux yeux des paysans qui l’entourent, et dont les poches, grâce à quelques hectares, sont gonflées d’écus. De plus, le personnel, devenu difficile, exigeant, indiscipliné, multiplie les difficultés journalières devant lesquelles il faut toujours céder. Par le jeu de la loi de l’offre et de la demande, le propriétaire est d’avance vaincu, et c’est une source pénible de déconsidération.

Tout cela sans doute n’est qu’évolution et transformation. La terre est ici trop fertile, elle offre trop de ressources variées, elle peut être achetée à des prix trop avantageux pour ne pas tenter les capitaux. La Gascogne ne souffre que d’une crise de main-d’œuvre. Cette crise peut être résolue et, si elle ne l’a pas été jusqu’ici, c’est que peut-être on s’y est mal pris, c’est qu’on a abordé une très grave question avec des idées étroites et des moyens insuffisans. Mais avec de l’argent, de l’initiative, de la hardiesse, une nouvelle organisation des propriétés et du travail, l’introduction large et méthodique de la main-d’œuvre étrangère, on peut entrevoir la solution, et du même coup la formation d’une bourgeoisie rurale nouvelle qui, adaptée à des conditions économiques et sociales différentes, ne ressemblera pas du tout à l’ancienne.

Car nous assistons à la fin d’une classe : la bourgeoisie de la Gascogne disparaît en tant que bourgeoisie terrienne, c’est-à-dire rentière de la terre, tirant de là sa place dans le cadre social, sa mentalité et sa physionomie morale. Et cette disparition laisse des traces, qui frappent l’œil le moins attentif et mettent, de-ci, de-là, une note mélancolique dans le pays. Le long des petites routes, ce sont de vieux logis, aux murs tapissés de glycines et de rosiers, qui semblent en deuil avec leurs fenêtres closes et l’herbe haute dans l’avenue ; d’autres sont transformés en métairies ou tombent tristement en ruines ; les vieux jardins avec le puits à large margelle portant le cadran solaire et la grande allée de buis taillé courant le long des espaliers jusqu’au cabinet de charmille, mi-jardins à la française et mi-vergers, d’une grâce discrète, un peu surannée, tout cela est ouvert, foulé, mutilé, dégradé. Au village, dans la rue silencieuse, de solides façades en pierre de taille abritent les petits