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paire de souliers ; à une servante, bonne à tout faire, on donnait quarante francs, la moitié de la plume de la volaille, une coiffe non garnie et quelques poignées de lin. Fallait-il une nourrice ? On n’avait que l’embarras du choix, et la meilleure emportait votre enfant pour dix francs par mois et un habit au bout de quinze.

L’instruction des écoliers ne coûtait pas plus cher que le lait des nourrices. Sous la Restauration, dans une petite ville voisine d’Agen, un ancien Oratorien, bon père de famille, tenait une pension où sa réputation d’excellent latiniste attirait tous les petits bourgeois des environs. Le prix de la pension était de quinze francs par mois, plus une paire d’oies grasses à la Noël et quelques litres de légumes secs et de graine de lin, cette dernière sans doute pour alimenter les lampes. Et pas de ces supplémens qui, dans certains collèges, sont des centimes additionnels dépassant le principal. Je ne relève qu’une somme de cinq francs pour la fille aînée de la maison, « chargée de peigner les enfans quand ils sont petits et de veiller qu’ils n’aient pas de poux. »

L’argent avait donc alors une grande valeur en Gascogne, et, pour peu qu’on en eût, on pouvait faire, sinon grande figure, du moins figure de bourgeois. Aussi les bourgeois se multiplient et on en trouve à chaque porte. Dans la plupart des villages, la moyenne est de une famille bourgeoise sur dix. Mais beaucoup sont mieux partagés. En 1836, le sous-préfet de Lecloure note dans l’annuaire officiel de l’arrondissement qu’à Flamarens, « sur les quarante-cinq maisons du village dix appartiennent à des familles bourgeoises, qui, ayant le bon esprit de se réunir, forment une société charmante. » Non loin de là, à Auvillars, bourg de 2 000 habitans, la bourgeoisie devait être nombreuse, puisque sous la Restauration on y comptait une douzaine de chevaliers de Saint-Louis. A Laplume, sur 1 800 habitans, 40 familles « vivaient bourgeoisement. » A Lectoure, sous-préfecture qui compte à peine 5 000 habitans, un cercle est fondé en 1830 où l’on n’admet que des bourgeois authentiques et vérifiés : de 1830 à 1852, je trouve 115 noms sur les registres. Vers la même époque un jeune polytechnicien, qui sera plus tard professeur à la Faculté de médecine de Paris, rencontrait à Astaffort, chef-lieu de canton de 2 500 habitans, une société nombreuse de bourgeois dont plusieurs savaient très bien le latin et deux lisaient Homère dans le texte.