Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 58.djvu/638

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jeune femme ; votre bonheur fait mon repos, ma quiétude d’esprit et, lorsqu’on me trouve encore belle et aimable (il y a des flatteurs qui le disent), je réponds que c’est parce que ma fille est heureuse. » Sa fille lui fut de bonne heure une sauvegarde au surplus, car elle voulut s’assurer la considération du monde et y conquérir une place honorée afin de mettre cette enfant à l’abri de l’isolement humilié dont elle avait tant souffert pendant sa première jeunesse. Livrée à elle-même, elle aurait suivi, dit-elle, les détestables conseils qu’on lui prodiguait trop souvent : catholique, elle aurait osé le divorce et risqué peut-être bien d’autres « folies » auxquelles la poussaient l’imagination, le dépit et son cœur avide d’affection ! « On ne sait pas assez, soupire-t-elle, à quels dangers une femme est exposée quand elle n’a reçu aucune éducation, ni religieuse, ni intellectuelle, et qu’elle a le caractère faible, cette douceur mollo qui se laisse opprimer, humilier, influencer, troubler… Votre piété, vos vertus, la fermeté de vos principes que vous avez puisés ailleurs que chez moi[1], car je n’avais pas de quoi vous donner tout cela, me paraissent une réhabilitation de mes propres misères dont je connais l’étendue ; le bonheur dont vous jouissez, un rachat de mes défaillances. Si ce bonheur vous avait manqué, si, après l’avoir combiné, il eût échoué devant une déception, cela m’aurait tuée. Jugez donc de ma reconnaissance envers vous et envers votre mari ! »

Elle avait en effet très sagement choisi son gendre dans une excellente famille d’origine brabançonne, mais établie en Autriche depuis quelques générations : famille fort nombreuse et par suite sans grande fortune, mais de haute valeur morale et qui comptait parmi ses membres des missionnaires et de saintes religieuses. Le comte François Coudenhove justifia sa confiance : « Je vous admire et je vous respecte tant l’un et l’autre, lui écrit-elle un jour, que tout ce que vous faites me paraît irréprochable. »

Peut-être Mme Mouchanoff incline-t-elle même un peu bas sa dignité de mère lorsque, inquiétée dans sa tendresse par un silence tout fortuit de sa fille, elle lui adresse cette requête suppliante : « De grâce, dites-moi si vous ou votre mari avez quelque grief contre moi. Dieu sait qu’il serait excusable à force

  1. La comtesse Coudenhove fut élevée à Paris, au couvent des Oiseaux.